Les banques ne peuvent plus remettre les sommes détenues par une personne décédée à ses héritiers sans le feu vert du fisc.
C’est une petite révolution dans le paysage fiscal libanais, et un nouveau coup porté au secret bancaire. Dans une lettre adressée à l’Association des banques, le 22 janvier, la Banque du Liban (BDL) a demandé aux établissements bancaires de ne plus libérer le compte d’un défunt au profit de ses héritiers, avant l’obtention du quitus du ministère des Finances, attestant du paiement des droits de successions relatifs au compte concerné.
« La loi impose aux héritiers de déclarer et de payer des droits sur l’ensemble du patrimoine au Liban et à l’étranger pour les résidents , et au Liban pour les non résidents. Mais personne, ou presque, ne déclarait les sommes placées dans les banques », affirme Karim Daher, avocat fiscaliste et président de l’Association Libanaise pour les Droits et les Intérêts des Contribuables (ALDIC).
L’enjeu est de taille pour les contribuables, car les droits de successions sont progressifs. Ils varient entre 3 et 12 % pour les héritiers de lignée directe, entre 9 et 26% pour les frères et sœurs, et peuvent aller jusqu’à 45 % s’il n’y a aucun lien de parenté (avec des abattements passés de 40 à 120 millions de livres dans le budget 2017).
Dans la pratique, les héritiers se contentaient de déclarer une partie du patrimoine afin de réduire le montant des droits à payer. Ils sont tenus de les déclarer auprès des services du ministère des Finances dans un délai de trois mois, et de présenter les documents justificatifs dans un délai de six mois, pour faire la dévolution successorale (« Hasl el Erth » en arabe ) chez le juge. Cette procédure leur permettait ensuite d’accéder aux comptes bancaires du défunt, sans passer par le fisc. Ce dernier n’avait le droit d’interroger les banquiers sur l’existence ou pas de comptes ni sur leurs montants, à cause du fameux secret bancaire.
Selon la loi de 1956 en effet, les banquiers ne « peuvent divulguer ce qu’ils savent des noms de leur clientèle, ses avoirs et/ou toutes autres questions qui la concernent à qui que ce soit : particuliers, pouvoirs publics, autorités administrative, militaire ou judiciaire, sauf autorisation écrite de l’intéressé ». Mais une brèche a été ouverte par la loi sur la lutte contre le blanchiment d’argent, votée en novembre 2015, sous la pression de la communauté internationale, et le fisc a décidé aujourd’hui de s’y engouffrer. Cette loi, qui porte le numéro 44, considère la fraude et l’évasion fiscale comme des délits assimilés au blanchiment, pouvant donner lieu à une levée du secret bancaire de la part de la Commission d’enquête spéciale (SEC) de la BDL.
C’est sur cette loi que s’est basé le ministre des Finances pour demander à la banque centrale de changer les « règles du jeu », en exigeant désormais l’obtention d’un quitus du fisc avant le déblocage des fonds. Si elles ne veulent pas être accusée de complicité d’évasion fiscale, et donc par extension de blanchiment, les banques devront obtempérer. « En termes de justice fiscale, c’est une décision compréhensible et justifiée. Ne pas payer de droits de successions sur les comptes bancaires s’apparente clairement à de l’évasion fiscale », commente Karim Daher. « Mais nous avons tout de même des appréhensions au niveau de la pratique. Les procédures au ministère des Finances sont parfois très longues et prennent beaucoup de temps. Le risque est de voir les héritiers, qui ont vraiment besoin de l’argent déposé dans les banques par le de cujus, se voir soumis à un chantage de la part des agents du fisc. », ajoute-t-il. L’avocat fiscaliste propose de s’inspirer des assurances vies, qui peuvent être encaissées en échange du paiement d’une taxe forfaitaire, ou d’adopter le principe d’une avance de droits, une disposition prévue d’ailleurs Dans la loi.
Au-delà des modalités de mise en œuvre, la lutte contre l’évasion fiscale est un enjeu majeur pour l’Etat. Dans le budget 2017, les recettes des droits de successions étaient évaluées à seulement 165 milliards de livres (110 millions de dollars), soit à peine 1,5% de l’ensemble des recettes fiscales de l’Etat.
Pour maximiser les droits de successions la nouvelle mesure exigée par le ministère des Finances devrait englober aussi les comptes joints. Institué par une loi en 1961, ce type de compte peut être actionné par deux personnes. Au décès de l’un d’entre eux, le solde est parfois retiré par le cotitulaire, sans que le fisc ou même les héritiers du défunt, n’en soient informés.