Ultimes marchandages sur fond de confusion dans les alliances

Mardi 22 novembre, alors que les festivités de la fête de l’Indépendance – qui avaient provoqué une affluence populaire sans précédent au point de prendre de court le département du protocole – venaient de se terminer au palais de Baabda, le téléphone a sonné. Le secrétaire général du Hezbollah a tenu à présenter à son tour ses vœux au président Michel Aoun.

Selon ce qui en a filtré, l’échange entre les deux hommes était plus que cordial, Aoun et Nasrallah étant sur la même longueur d’onde. De plus, comme c’était la première conversation téléphonique directe entre eux depuis l’élection présidentielle, le chef de l’État aurait assuré à Hassan Nasrallah que « Aoun le président » était encore plus déterminé que « Aoun le candidat » et que ses convictions n’ont pas changé. Selon les sources proches du Hezbollah, le chef du parti n’avait pas besoin de ces assurances, ayant une confiance totale dans son partenaire de l’entente de Mar Mikhaël qui remonte à février 2006. C’est d’ailleurs pourquoi ni le service de presse de la présidence ni celui du Hezbollah n’ont jugé nécessaire de divulguer l’information, car elle leur paraissait tout à fait naturelle.

Toutefois, avec les tractations sur la formation du gouvernement, certaines parties tentent de nouveau de semer le doute dans les milieux proches du Hezbollah et du CPL. Comme il l’avait fait dans la période qui avait précédé l’élection présidentielle, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, se glisse dans cette brèche et alimente la suspicion en accusant le Hezbollah de se cacher derrière le président de la Chambre, Nabih Berry, pour entraver la formation du gouvernement. Les FL considèrent en effet qu’il n’y a pas lieu d’accorder des portefeuilles au chef des Marada, Sleiman Frangié, et au parti Kataëb qui n’ont pas voté en faveur du président Michel Aoun. Mais s’il faut à tout prix le faire, sous prétexte qu’il s’agit d’un gouvernement d’union nationale, ces deux formations ne devraient pas obtenir des maroquins importants, comme l’exige M. Berry. L’insistance du président de la Chambre à vouloir donner au chef des Marada un maroquin dit important (comme les Travaux publics ou l’Énergie) est d’ailleurs perçue par les Forces libanaises comme une initiative dirigée contre elles pour les empêcher de jouer le rôle de partenaire privilégié du président. C’est une des raisons pour lesquelles le chef des FL a multiplié les apparitions télévisées à la veille et depuis l’élection présidentielle, considérant que son soutien à la candidature du général Aoun a été déterminant dans l’élection de ce dernier à la présidence de la République. Il se présente un peu comme le véritable « faiseur du président » et entend par la même occasion en cueillir le plus vite possible les bénéfices. De plus, dans ses interventions télévisées, Samir Geagea donne constamment l’impression qu’à travers son accord avec Michel Aoun, il aurait réussi à rapprocher ce dernier des thèses de son camp politique et à l’éloigner de celles du 8 Mars et en particulier du Hezbollah. Il se livre d’ailleurs à une sorte de matraquage médiatique comme pour créer un fait accompli. Et, dans la foulée, il multiplie les parallèles entre l’alliance qui unit Amal et le Hezbollah et celle des Forces libanaises et du CPL. Au point qu’au niveau des militants des deux formations, on entend de plus en plus la question suivante : pourquoi Amal et le Hezbollah considèrent que leur alliance est primordiale et refusent de respecter celle des deux formations chrétiennes ?

Une autre question suit celle-ci et elle consiste à demander pourquoi le tandem chiite veut imposer le courant des Marada et empêcher les Forces libanaises d’obtenir un portefeuille régalien ?

Si le Hezbollah refuse d’entrer dans des polémiques de ce genre, le président de la Chambre, lui, est aux premières lignes de cette confrontation déguisée. Il ne cache pas son refus de ce qu’il considère comme « la mainmise » des FL sur la présidence par le biais du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et il ne cesse de rappeler que si Sleiman Frangié n’avait pas refusé de participer aux séances parlementaires d’élection présidentielle, après avoir obtenu l’appui de Saad Hariri à sa candidature, il serait aujourd’hui président à la place de Michel Aoun. L’élection de ce dernier a donc été rendue possible grâce notamment à la position de Frangié et pour cela, il mérite une place de choix au sein du gouvernement.

Ce tiraillement constitue aujourd’hui le dernier obstacle qui entrave la formation du gouvernement. Mais personne ne le considère insurmontable. Il s’agit donc pour chaque camp de délimiter son territoire et de tester les forces de l’autre. Le président qui se place au-dessus de la mêlée ne veut pas intervenir dans ces marchandages, son souci étant d’accélérer la formation du gouvernement, quitte à faire des concessions et même à laisser les Forces libanaises se présenter comme le partenaire le plus fort. Le ministre Bassil n’a cessé de le dire : ce gouvernement ne représente pas la nouvelle présidence, qui préfère se concentrer sur les élections législatives et les nouveaux rapports de force qui en seront issus. Si cette attitude « coulante » favorise les FL au détriment des autres alliés, le président et le CPL n’y voient pas d’inconvénient, sachant qu’il s’agit d’une période transitoire et qu’après tout, leur vision du nouveau régime, c’est de chercher à rallier le maximum de forces, sans toutefois faire des concessions sur le fond. C’est ce qui a été réaffirmé dans la conversation téléphonique entre le président et le secrétaire général du Hezbollah