Le président de la Chambre, Nabih Berry, ne cessera pas de surprendre, même 25 ans après sa prise de fonctions, en 1992.
Sa dernière sortie hier, parée d’une nouvelle interprétation de la Constitution lors d’une apparition publique aussi rare que spectaculaire, ne manquera pas de mettre du pain sur la planche de beaucoup de juristes qui se préparent d’ores et déjà à une joute d’interprétations et d’analyses. M. Berry, qui a appelé à la tenue d’une séance plénière de la Chambre le 5 juin prochain (soit cinq jours après la fin de la session actuelle) consacrée au vote d’une prorogation de la législature ou d’une nouvelle loi électorale, a motivé sa décision par le fait qu’en suspendant d’un mois les réunions de la Chambre en recourant à l’article 59 de la Constitution, le chef de l’État lui « devait » encore un mois de législature ordinaire.
Pour M. Berry, l’exécutif n’a pas le droit d’écourter les sessions ordinaires et le report d’un mois des réunions parlementaires devrait être compensé, selon la loi du « rien ne se perd, tout se récupère ». Même en usant des termes les plus courtois à l’égard du président, les propos du chef de l’Assemblée n’ont pas masqué le bras de fer autour des délais et des prérogatives constitutionnelles qui l’oppose à Michel Aoun.
Alors que le président de la République tente actuellement de faire pression sur la question des délais en matière de réforme électorale en tendant une oreille sourde à la signature du décret d’ouverture d’une session extraordinaire tant qu’il n’y a pas eu accord sur une nouvelle loi, M. Berry a sorti son arsenal juridico-politique et tracé la délimitation du jeu, en laissant entendre subrepticement qu’il ne sera pas aussi rapidement éjectable de l’hémicycle.
« M. Berry a trouvé une entourloupette pour dire qu’il n’y aura pas encore de vacances après le 31 mai », estime une source proche du dossier, qui souligne qu’à travers ce jeu de négociations publiques, « les deux hommes jouent avec le feu. Personne n’en sortira gagnant ».
Alors que l’enjeu de départ était de parvenir à une entente autour des détails de la loi électorale dont le principe général semble enfin acquis – la proportionnelle appliquée à 15 circonscriptions – la problématique a dévié vers un antagonisme autour des prérogatives respectives. C’est ce que confirme une source des Forces libanaises (FL) qui souligne que « l’important est de ne pas perdre la boussole en s’enlisant dans des débats d’interprétation constitutionnelle. Il s’agit de revenir à l’essentiel, à la question vitale de la réforme électorale ». Selon des sources concordantes, s’il n’y a pas un accord d’ici à la date-butoir du 19 juin prochain, le pays se dirige assurément vers un chaos constitutionnel.
Une source juridique croit même savoir que s’il n’y pas un accord définitif d’ici à quelques jours, « le risque est grand de voir le président de la Chambre invoquer un report technique d’un an, maintenant qu’il s’est octroyé un nouveau sursis d’un mois ». Une thèse que réfute un responsable FL, convaincu que M. Berry n’aura pas la majorité des voix pour faire passer le report technique.
Pour les plus optimistes, nous n’en sommes pas encore là et les obstacles qui continuent d’entraver l’adoption de la nouvelle proposition de réforme en gestation ne sont pas insurmontables, de l’avis de responsables au sein du Courant patriotique libre et des FL. Nabih Berry l’a également laissé entendre en notant que la parité entre chrétiens et musulmans est acquise, ainsi que le maintien du vote préférentiel, « à condition qu’il ne se fasse pas sur une base communautaire », un principe que les FL disent « établi et convenu ». La ligne rouge du transfert des sièges ne sera aucunement transgressée, a également averti M. Berry, rejoint en cela par plusieurs députés, dont Nagib Mikati et Nadim Gemayel, ainsi que l’ancien ministre Khalil Hraoui, qui ont protesté hier contre ce processus.
Il reste deux inconnues, le décompte des sièges et le seuil de la qualification, « des éléments extrêmement techniques » conviennent les experts, mais qui peuvent être néanmoins résolus « si la volonté y est ». C’est cette volonté qu’a voulu vraisemblablement démontrer le chef de l’État qui a exprimé hier devant ses visiteurs son souhait de pouvoir annoncer aux Libanais la nouvelle de l’adoption de la réforme électorale « avant la fin de la législature actuelle le 20 juin prochain », laissant ainsi à ses experts juridiques le soin de répondre à la polémique constitutionnelle soulevée par Nabih Berry et à ses arguments qu’ils ont démontés un par un.
Sortie de sa réserve dans une tentative de médiation tacite, le Premier ministre s’est directement adressé en soirée, lors d’un iftar au Grand Sérail, au chef du Parlement, présent à la soirée, en affirmant que « l’échec n’est pas permis, d’autant que nous sommes si près du but ». M. Hariri a réitéré par la même occasion que le retour aux options de la prorogation ou de la loi de 1960 « constitueront un échec pour l’ensemble des parties ». En même temps, une réunion autour de la loi électorale a regroupé en soirée les députés Georges Adwan et Ibrahim Kanaan, en présence du chef du CPL, Gebran Bassil.