Ces facteurs qui poussent les jeunes Libanais à émigrer

Quelque 16 % des jeunes Libanais interrogés dans le cadre d’un sondage commandité par la Commission européenne veulent quitter le Liban, notamment en raison des bas salaires proposés.

Alors qu’un jeune sur cinq de cinq pays de la zone MENA (Algérie, Égypte, Liban, Maroc et Tunisie) souhaite émigrer, au Liban, ils sont 16 % à vouloir quitter le pays, selon une enquête rendue publique le 23 mars en Espagne. Commandité par la Commission européenne, ce sondage, effectué dans le cadre du projet Sahwa (L’éveil, en arabe), a regroupé 15 partenaires de pays européens et arabes – dont des universités et des ONG – et a été mené entre 2014 et 2016 auprès de 10 000 jeunes, dont environ 2 000 Libanais âgés entre 15 et 29 ans.

Le but de l’étude était notamment de comprendre les différentes perspectives liées à l’éducation, à l’emploi, à l’émigration, aux valeurs et à l’intégration sociale des jeunes après le printemps arabe.
« Les données sur l’immigration sont rares, et particulièrement celle des jeunes. Nous nous sommes concentrés dans notre étude sur les facteurs qui poussent les jeunes à émigrer, mais nous n’avons pas encore étudié les facteurs d’attraction des pays d’immigration », explique Dr Ali Fakih, professeur adjoint du département d’économie à l’Université libano-américaine (LAU) et qui a participé à l’élaboration de l’étude.

Faible protection

Le profil type du jeune Libanais qui voudrait émigrer serait un homme, diplômé mais sans emploi, et dont la famille a un capital financier limité. Un jeune ayant un diplôme universitaire a ainsi une propension à émigrer de 5 % supérieure par rapport à ceux qui n’en ont pas. De même, les jeunes sans emploi sont plus nombreux à vouloir quitter le pays (+14 %), tout comme ceux qui n’ont pas d’aide financière familiale (+8 %). « Le sondage prouve que les jeunes qui ont un diplôme de l’enseignement supérieur, mais dont les parents ne peuvent offrir de soutien financier ni de connexions politiques, ou qui sont issus de milieux plus modestes auront beaucoup plus tendance à vouloir émigrer », explique Dr Ali Fakih. Ainsi, les jeunes dont les parents possèdent leur entreprise ou sont cadres auront moins tendance à vouloir quitter le pays.

Les principaux facteurs poussant les jeunes à vouloir émigrer sont premièrement « pour échapper à la pression familiale » (27 % des sondés) et « les salaires inférieurs à ceux de l’étranger » (26 % des sondés), suivent ensuite les « mauvaises conditions de vie » (19 % des sondés). Selon le rapport Miles de la Banque mondiale (BM) publié en décembre 2012, le salaire médian d’un diplômé de l’enseignement supérieur de moins de 34 ans au Liban atteignait 733 dollars par mois. « La situation économique arrive en premier lieu dans les perceptions de la jeunesse sur les problèmes principaux du pays, et ce devant la démocratie et les droits humains, ce qui est assez atypique, généralement ils sont à des niveaux équivalents », ajoute Dr Ali Fakih.
Il reste que cette volonté d’émigrer s’explique surtout par la situation alarmante des jeunes sur le marché du travail. Selon le rapport Miles, alors qu’il produit en moyenne 23 000 jeunes diplômés par an, le pays n’a créé que 3 400 emplois par an entre 2004 et 2007.

Résultat, selon le sondage, seuls 36,7 % des jeunes Libanais interrogés occupent un emploi. Et lorsqu’ils sont employés, leur situation est majoritairement précaire : quelque 47,2 % des sondés n’ont pas de contrat de travail, et seulement 38,2 % d’entre eux sont en CDI. Ainsi, quelque 54,6 % des jeunes ne sont pas enregistrés à la Sécurité sociale (CNSS), soit parce que leur employeur refuse de les assurer, parce que ce dernier n’est lui-même pas assuré, ou encore car ils ne souhaitent pas avoir une couverture maladie. Enfin, la majorité des jeunes (57,7 %) ont réussi à décrocher un emploi via un contact familial ou personnel, alors que seulement 13,9 % d’entre eux ont décroché un emploi en envoyant leur CV.

« Ces conditions de travail et cette faible protection juridique et sociale poussent les jeunes à vouloir quitter le pays », explique Dr Fakih. Cependant, si les jeunes cherchent à améliorer leur situation financière et sociale à l’étranger, ils sont généralement plus enclins à retourner au Liban par la suite. « Historiquement, les jeunes Libanais avaient tendance à émigrer du Liban pour toujours, et à s’installer aux États-Unis, en France ou au Canada par exemple, mais depuis trois décennies, ils émigrent pour obtenir de meilleurs salaires et travailler dans le Golfe, et la plupart d’entre eux reviennent ensuite s’installer au Liban », explique Dr Fakih. Selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) sur la jeunesse libanaise, publié en juin dernier, 40,5 % de ceux qui ont émigré entre 2010 et 2014 se sont installés dans les pays arabes.