«Tombé du ciel», repentirs croisés à Beyrouth

Le cinéaste libanais Wissam Charaf filme les retrouvailles animées de deux frères.
Puisque seule peut-être une citation, à plus forte raison tirée du Journal d’un gars comme Bertolt Brecht, peut s’autoriser ici de telles généralités, allons-y gaiement : «J’en reviens toujours à l’idée que l’essence de l’art est la simplicité, la grandeur et le sentiment, et que l’essence de sa forme est la froideur.» Quel rapport avec Tombé du ciel, premier long métrage du réalisateur libanais Wissam Charaf ? Aucun sans doute. Mais disons que l’exploration des rapports entre la simplicité, le sentiment et la froideur de la forme (mettons pour l’instant de côté la grandeur), il n’y a pas eu qu’un jeune dramaturge allemand, au début des années 20, pour s’en préoccuper – et pour cause : voilà bien l’essence de l’art ! L’aspect immédiatement frappant dans Tombé du ciel est justement son aspect : ce format 1.33, dit «carré», et la frontalité panique des corps dans le cadre, sans cesse rejouée avec ironie. Wissam Charaf, comme d’autres peut-être avant lui, cherche à retrouver au cinéma un peu de la froideur ultrasentimentale du rock ou du post-punk : un peu de cette passion furieuse compressée, retenue, aplatie, dans un espace trop étroit pour elle – espace sonore ici, visuel là, ou les deux. D’où il tire, en plus de sa force, son discret mais continuel effet comique. Quant aux fureurs, c’est la situation qui, l’air de rien, nous les amène : un homme revient d’entre les morts, ceux de la guerre civile, à Beyrouth, chez son frère qui lui-même, quoique ça n’ait pas grand-chose à voir, en réchappera de peu. De là se déploie toute une série de péripéties et de plaisanteries tournant autour du souvenir et de l’actualité de la guerre, c’est-à-dire autour de la question de la survie. Où tout simplement «ne pas mourir», par les temps qui courent, constitue la meilleure des blagues : et avant tout une critique bien sentie de la société des vivants. Tombé du ciel, avec son humour ancien combattant, ne nous dit pas que la mort rend la vie absurde, mais l’inverse – ce qui est une généralité bien plus punk que la première. Vous verrez qu’il y gagne, en plus du reste, une certaine grandeur.