Certains les appellent « des visites officielles », d’autres « des convocations ». Mais quel que soit le nom donné aux voyages successifs de bon nombre de figures du « 14 Mars » soudain ressuscité, ceux-ci alimentent aujourd’hui la polémique interne. D’autant que, selon des sources proches des personnalités concernées, les invitations ont été adressées soudainement. Toutefois, ces mêmes sources rappellent que, lors de la visite du ministre saoudien chargé des Affaires du Golfe, Thamer el-Sabhane, à Beyrouth, au mois d’août, il était clair que le royaume wahhabite voulait reprendre l’initiative au Liban et tenter de créer un équilibre politique avec le camp qualifié de pro-iranien et mené par le Hezbollah.
Cette visite de quelques jours, au cours de laquelle le ministre saoudien, connu pour son hostilité aux chiites (il avait dû quitter l’Irak, où il était ambassadeur de son pays, en raison de ses déclarations violentes contre les chiites et en particulier les « forces populaires »), avait rencontré un grand nombre de personnalités libanaises, essentiellement dans la mouvance du 14 Mars, tout en évitant de se rendre au palais de Baabda, avait été interprétée comme une tentative saoudienne de relancer l’alliance du 14 Mars pour redonner vie à l’ancien clivage politique qui avait divisé le pays entre 2005 et 2016. La visite de M. Sabhane devait être suivie de mesures concrètes qui se sont traduites récemment par les invitations adressées aux personnalités politiques libanaises.
Entre les deux, il y a eu les tweets du ministre saoudien qui ont suivi les batailles des jurds, dans lesquels il avait pressé les Libanais de choisir entre « le parti du diable » (le nom qu’il a donné au Hezbollah) et le royaume wahhabite.
Il faut préciser que le ministre saoudien est considéré comme un proche de l’actuel prince héritier du trône et homme fort du royaume, le prince Mohammad ben Salmane. M. Sabhane a donc en quelque sorte balisé le chemin qui sera marqué par des rencontres entre le prince Mohammad et les personnalités libanaises. Selon une source proche du 14 Mars, d’autres personnalités devraient être bientôt conviées en Arabie, chrétiennes et musulmanes, ce qui montre bien qu’il ne s’agit pas seulement pour les Saoudiens de mettre de l’ordre au sein de la communauté sunnite libanaise, mais bien de relancer le front politique anti-Hezbollah et bien entendu anti-iranien. Cette démarche intervient au moment où le dossier des déplacés syriens est de nouveau largement ouvert au Liban, alors qu’une partie des Libanais estime que la présence massive des déplacés syriens au Liban est devenue intolérable et qu’il est temps d’amorcer un début de retour des Syriens chez eux. Le chef de l’État a d’ailleurs clairement évoqué cette question à la tribune des Nations unies en rappelant que, désormais, le régime syrien contrôle plus de 80 % du territoire qui est pratiquement sécurisé, soit par la fin des combats, soit par des réconciliations. Il est donc temps de commencer à songer sérieusement à entamer un processus de retour des déplacés dans les zones sécurisées.
Selon une source diplomatique arabe, c’est justement ce dont les Saoudiens et leurs alliés, notamment américains, ne veulent pas entendre parler à l’heure actuelle. Car, d’une part, la reprise d’un dialogue officiel entre les responsables libanais et le régime syrien signifierait à l’heure actuelle, et dans le cadre du rapport des forces au Liban, la fin politique des alliés de l’Arabie et de l’Occident à la veille des élections législatives prévues en mai 2018, et, d’autre part, cela enlèverait à ce camp une carte maîtresse qui pourrait être éventuellement utilisée contre le Hezbollah devenu trop puissant. Sans parler de l’avantage qu’un tel dialogue devrait donner au régime syrien, et au président Bachar el-Assad en particulier. Il ne s’agit certes pas de ramener la tutelle syrienne au Liban, dont les conditions tant locales que régionales et internationales ne sont pas réunies, mais la reprise d’un tel dialogue officiel pourrait être exploitée politiquement par le régime syrien.
Pour toutes ces raisons, l’Arabie saoudite a décidé donc de réagir pour bloquer le processus en redonnant vie au 14 Mars et en cherchant à lui redonner du souffle face au Hezbollah. Mais cette démarche reste toutefois assez risquée. Le Premier ministre, Saad Hariri, a, en effet, aujourd’hui une priorité, c’est celle de préserver son accord avec le président Michel Aoun et avec le chef du CPL, Gebran Bassil. Il n’envisage d’ailleurs pas pour l’instant, selon ses proches, de quitter la tête du gouvernement. Ce qui l’empêche de suivre (à défaut de mener) la vague d’escalade politique qui s’annonce. D’ailleurs, il a bien pris soin de rester en dehors de la polémique sur la rencontre Bassil-Moallem, laissant ses proches protester. Mais sa situation risque de devenir plus difficile si les tensions politiques s’enveniment, sachant que le président de la République s’apprête à se rendre en Iran le mois prochain.
Toutefois, les milieux proches de la présidence s’empressent de préciser que cette visite prévue depuis quelque temps n’a rien à voir avec la polémique politique actuelle. Elle n’est pas non plus un alignement régional, le président Aoun ayant choisi de réserver son premier voyage à Riyad, dans un souci d’équilibre. Dans l’optique du président, le Liban se doit d’avoir de bonnes relations avec tous les pays (sauf Israël) car c’est ce qui préserve le mieux ses intérêts et ceux de son peuple. C’est donc un nouveau défi qui l’attend.