Le Liban officiel avait bien préparé ses dossiers, et les responsables avaient parfaitement synchronisé leurs positions pour afficher un front uni, tout en se partageant les rôles, dans leurs entretiens avec le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, à Beyrouth, hier. Pour gagner du temps, il a été ainsi convenu que le chef de l’État rencontrerait le responsable américain en présence du ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, et du directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, chargé du suivi sur le terrain des violations israéliennes de la souveraineté libanaise et des points litigieux le long de la ligne bleue. M. Tillerson a été ensuite reçu par le président de la Chambre, avant de clôturer sa visite au Liban par un entretien suivi d’une conférence de presse conjointe avec le Premier ministre.
Les responsables étaient même convenus, au cours de la rencontre de coordination préparatoire qui s’est tenue au palais de Baabda, que la position officielle libanaise était de refuser de faire des concessions sur les droits du Liban sur son sol et sur ses eaux territoriales. Mais, en même temps, le ton du refus serait différent d’un responsable à l’autre, en laissant au Premier ministre le choix d’être le plus ouvert aux propositions éventuelles, pour ne pas braquer l’administration américaine. Le Premier ministre avait toutefois surpris les participants à la réunion du Conseil supérieur de défense qui s’était tenue récemment au palais de Baabda par la fermeté et la clarté de sa position. Il avait ainsi donné des instructions à l’armée libanaise de riposter à toute agression israélienne et au commandant en chef de l’armée qui lui demandait : « Cela signifie-t-il que s’il y a une agression israélienne, nous avons le droit de tirer en riposte ? » il avait répondu par l’affirmative.
Pour la première fois depuis 2000, le Liban officiel a donc une position unifiée sur l’attitude à adopter à l’égard des ambitions israéliennes au Liban. Le secrétaire d’État adjoint pour les Affaires du Proche-Orient David Satterfield avait senti cette unité au cours de la visite qu’il a effectuée au Liban début février, en prélude à celle de Rex Tillerson. Au cours de ses rencontres avec les responsables libanais, M. Satterfield avait entendu ainsi les mêmes réactions aux propositions qu’il leur avait faites, notamment celle d’accorder 55 % de la superficie du bloc 9 de la Zone économique exclusive au Liban et de laisser 45 % à Israël, dans un partage qui se voulait équitable. Les responsables libanais avaient d’ailleurs senti que l’émissaire américain pouvait monter jusqu’à accorder 60 % de la superficie au Liban, en laissant cette marge aux négociations pour montrer aux Libanais que les États-Unis leur ont obtenu une concession. Mais, selon des sources libanaises officielles, la manœuvre n’a pas abouti au résultat escompté puisque le Liban officiel a refusé de céder la moindre parcelle de ses eaux territoriales, dans le cadre d’un accord avec les Israéliens parrainé par les États-Unis.
Le secrétaire d’État américain savait donc à quoi s’attendre, et, selon des sources qui suivent le dossier, il aurait suggéré une autre proposition destinée à balayer les réticences libanaises. Il s’agirait ainsi de laisser 40 % de la superficie du bloc 9 aux Israéliens. Mais, en même temps, les Israéliens céderaient des parcelles de terrain controversé le long de la ligne bleue au Liban. Les Américains ont dû présenter cette position comme étant équitable, puisque donnant en terrains ce qu’elle prend en eaux territoriales. Pour les Libanais, elle montre néanmoins, d’une part, à quel point les Israéliens sont soucieux d’obtenir une partie de ce bloc, qui, semble-t-il, serait l’un des plus riches en ressources gazières et pétrolières dans cette partie de la mer Méditerranée, et, d’autre part, à quel point ils ne souhaitent pas une confrontation militaire élargie pour l’instant.
Pour le Liban, la double visite de Satterfield et de Tillerson serait, dans une certaine mesure, l’indice de l’importance pour les Israéliens d’exploiter les ressources gazières et pétrolières, ainsi que de leur crainte que cette opération soit entravée par les Libanais. Il s’agit donc d’une médiation américaine qui ne dit pas son nom, et le Liban a voulu rester, malgré tout, ouvert à toutes les propositions, dans les limites de la position de principe de refus de faire des concessions au détriment de la souveraineté territoriale et maritime.
Au départ, il y avait donc deux dossiers distincts, le premier portant sur le mur qu’Israël est en train de construire de son côté de la frontière, et le second portant sur l’exploitation du bloc maritime numéro 9 qu’Israël appelle le bloc numéro 2 et dont il affirme qu’il relève de sa souveraineté. Sur la première question, le Liban a déjà obtenu que le mur ne passe pas par les 13 points litigieux le long de la ligne bleue, alors qu’au sujet de la seconde, il estime que l’ensemble des 860 km2 lui appartiennent. Ce sont les Américains qui ont fait le lien entre les deux dossiers, en essayant de trouver un compromis entre les deux parties. Jusqu’à présent, le Liban campe sur ses positions. En même temps, il est hostile à toute escalade militaire et reste attaché au maintien de la trêve à sa frontière sud, mais il est prêt à riposter à toute agression. C’est donc sous ce plafond que se déroulent les discussions, qui, pour le Liban, ne peuvent pas se faire directement. Le Liban souhaite d’ailleurs qu’elles se fassent sous le parrainage des Nations unies, alors que les Américains veulent en être les seuls garants. La visite de M. Tillerson à Beyrouth a permis en tout cas de clarifier les positions, tout en ouvrant de nouvelles perspectives dans les discussions…