Tabagisme: l’OMS met en garde contre un fléau croissant au Liban et dans la région

Selon une étude publiée en 2017, quelque 38 % des adultes libanais sont des fumeurs. Plus grave : près de 40 % et 38 % des écoliers âgés de 13 à 15 ans fument respectivement la cigarette et le narguilé.

Alors que de nombreux pays dans le monde prennent des mesures de plus en plus dissuasives pour limiter le tabagisme, la situation au Liban et dans la région est des plus alarmantes

Dans le numéro de novembre du Bulletin de surveillance épidémiologique au Liban (Lebanese Epi-Monitor), diffusé hier, l’Organisation mondiale de la santé met en garde contre ce fléau en pleine expansion, qui « constitue l’une des plus grandes menaces de santé publique ». Elle rappelle que plus de sept millions de personnes dans le monde meurent chaque année des suites d’une maladie liée au tabagisme, au nombre desquelles 900 000 personnes qui meurent des suites du tabagisme passif.
Selon l’agence onusienne, dans les pays de la Méditerranée orientale (MO), près de 38 % des hommes et 4 % des femmes fument. Dans certaines régions de la MO, le taux des fumeurs s’élève à 52 % parmi les hommes et 22 % parmi les femmes. En ce qui concerne les jeunes, le taux du tabagisme peut atteindre 42 % chez les garçons et 31 % chez les filles.

Au Liban, le tableau n’est pas reluisant. D’après l’étude Lebanon Stepwise NCD, publiée en 2017, quelque 38 % des adultes sont des fumeurs. « Si la tendance actuelle se poursuivait, la prévalence du tabagisme s’aggraverait au cours des prochaines années », déplore l’OMS.
Selon cette même étude, près de 40 % des écoliers des secteurs public et privé, âgés entre 13 et 15 ans, fument la cigarette, les garçons plus que les filles (respectivement 45 % et 33 %) et près de 38 % d’entre eux fument le narguilé. Plus encore, près de 70 % des élèves sont exposés à la fumée de la cigarette dans leur maison et dans les endroits publics, et 50 % d’entre eux sont exposés à la fumée du narguilé.
L’OMS rappelle enfin que le Liban avait promulgué la loi 174 de lutte antitabac en 2011. « Malgré sa mauvaise application, les campagnes de sensibilisation se poursuivent, assure l’organisation. Idem pour la mobilisation de la société civile. »

« Le narguilé… une attraction touristique »
« Malheureusement, le pouvoir exécutif ne nous aide pas à appliquer la loi », déplore le Dr Atef Majdalani, président de la commission parlementaire de la Santé, qui a œuvré pour la promulgation de la loi 174 de lutte antitabac. « Ils ont peur pour le tourisme, ajoute-t-il sur un ton ironique. Dans ce pays, on estime que la liberté de fumer est un des critères du tourisme. Les sites archéologiques ne représentent rien comparé au narguilé, comme si c’était l’attraction touristique par excellence. Malheureusement, certains des ministres concernés par l’application de la loi ne veulent rien entendre. »

L’application de la loi 174 de lutte antitabac relève de quatre ministères : la Santé, l’Intérieur, le Tourisme et l’Économie. Au cours des trois premiers mois qui ont suivi son entrée en vigueur, le 3 septembre 2012, le contrôle était très strict sur les infractions dans les lieux publics à Beyrouth et dans certaines régions. Mais la situation a dégénéré durant les fêtes de Noël et du Nouvel An cette année-là lorsque le ministre du Tourisme (Marwan Charbel) à l’époque avait, lors d’une interview télévisée, indirectement incité les gens à enfreindre la loi. Depuis, le chaos se poursuit à ce niveau.
« La situation ne peut s’améliorer si la loi n’est pas bien appliquée et si le prix du tabac n’est pas revu à la hausse », s’insurge Rania Baroud, vice-présidente de l’ONG Tobacco Free Initiative (TFI). « Les études internationales menées dans ce sens dans les pays ayant limité le tabagisme le prouvent, poursuit-elle. Nous avons présenté ces documents au gouvernement actuel, mais il ne les a pas pris en compte, en raison principalement du conflit d’intérêt entre le ministère des Finances et la Régie, qui est placée sous la gouvernance de ce ministère. » De ce fait, « une importante hausse du prix du paquet de cigarettes qui sera vendu au moins à 4 000 livres libanaises ne sera pas envisageable, parce que cela n’arrange pas la Régie », constate la militante.

« D’ailleurs, la hausse du prix du paquet de cigarettes de 250 livres libanaises telle qu’elle a été votée par la Chambre dans le cadre de la loi sur la grille des salaires a été fait sur base d’une proposition de la Régie, ajoute Rania Baroud. Cela est contre la loi, parce que conformément à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac que le Liban avait ratifiée en 2005, le Parlement ne doit pas traiter avec une personne ou un organisme qui a des intérêts directs ou indirects avec l’industrie du tabac. »
« Seule l’application de la loi contribuera à faire baisser la facture de santé, insiste Rania Baroud. Mais qui veut le faire ? Le ministre du Tourisme refuse de nous recevoir. Il nous a même fait savoir qu’il ne veut pas appliquer la loi. Or l’application des lois n’est pas un choix ni un point de vue. C’est une obligation. Malheureusement au Liban tout est possible. »