25/01/2017
RENCONTRE
Scarlett HADDAD | OLJ
Pierre Raffoul se souvient d’une conversation avec le général Michel Aoun, il y a plusieurs années, alors que tous les deux se promenaient dans le jardin. Le « général » s’était alors arrêté, lui avait mis la main sur l’épaule et avait dit : « Toi et moi sommes de vieux compagnons. Nous avons commencé ensemble et nous continuerons ensemble. » Dès qu’il a été élu président de la République, Michel Aoun a tenu parole, créant une structure spéciale pour que son « vieux compagnon » puisse poursuivre le combat à ses côtés. Pierre Raffoul est ainsi devenu ministre d’État chargé des Affaires présidentielles, et son bureau au palais de Baabda est même collé à celui du président.
Entre les deux hommes, c’est donc une longue histoire d’amitié, de loyauté et de foi commune dans le Liban. Pour le nouveau ministre, fidèle parmi les fidèles, ce nouveau poste n’est donc pas une récompense, et encore moins un couronnement de carrière. C’est simplement une nouvelle étape dans la lutte pour un Liban indépendant et souverain autour d’un État fort et efficace.
D’ailleurs, Pierre Raffoul ne sait pas parler de lui. Toute sa vie tourne autour de son combat aux côtés d’un homme qu’il a rencontré pour la première fois en 1976, alors que la guerre faisait rage au Liban, et qui l’a alors tellement marqué qu’il n’a plus pu s’en éloigner, mêlant sa vie à la sienne et son destin au sien. Même les années d’exil forcé en Australie (1995-2005 ; il est rentré au Liban dans le même avion que le général, le 7 mai 2005) n’ont pas réussi à le détacher de lui puisque, une fois installé, son seul souci était d’organiser une visite de Michel Aoun dans ce pays pour son premier voyage hors de France où il avait été exilé de force. Le voyage a eu lieu du 6 au 19 juin 1998, un séjour au cours duquel Michel Aoun a serré les mains de 22 000 personnes…
Son épouse Nelly est elle aussi une compagne de combat et elle l’a toujours soutenu, même lorsque Ghazi Kanaan, le « gauleiter » syrien au Liban, a décidé en 1991 qu’il devait mourir…
L’histoire de Pierre Raffoul se confond donc avec celle du général depuis que, volontaire au sein du Tanzim, il a rencontré ce lieutenant-colonel de l’armée qui parlait d’unité, d’indépendance, d’intégrité territoriale et d’entente islamo-chrétienne, alors que le pays était déchiré par les conflits et son intégrité violée par les occupants. Selon M. Raffoul, Michel Aoun n’a jamais cessé de tenir le même langage de 1976 jusqu’à aujourd’hui, appelant à la rencontre et au dialogue entre les Libanais autour du projet d’un État fort et protecteur. Il rappelle aussi que dans les années 80, l’officier Aoun avait refusé la formation de brigades monoconfessionnelles et il avait insisté pour que celle dont il avait la charge, la fameuse 8e brigade, soit un modèle du Liban dans sa diversité et son engagement en faveur du pays.
Pierre Raffoul confie donc que depuis le début la vision de cet homme l’avait séduit et il ajoute qu’il n’a jamais douté de sa capacité à réaliser ses objectifs. Même dans les jours les plus sombres, après le 13 octobre 1990, il n’a jamais perdu confiance, se sentant d’ailleurs responsable de maintenir la flamme de l’espoir dans les cœurs et les esprits des Libanais, alors que le général s’est installé en France. Il s’est d’ailleurs toujours souvenu de ce qu’il disait : « On ne peut pas libérer une patrie et construire un État avec un peuple effrayé et soumis. »
Retour à Baabda
Pierre Raffoul a tenu bon autant qu’il le pouvait, entre son village natal, Miziara, où il jouissait de la bienveillance de l’ancien président Sleiman Frangié, ses amitiés au Chouf et son domicile à Baabdate. Le 26 juillet 1991, des amis lui envoient un message pressant pour qu’il quitte le Liban, parce que Ghazi Kanaan avait donné des instructions pour le tuer, en raison de ses activités clandestines contre « la tutelle syrienne » qui dérangeaient au plus haut point. C’est même lui qui avait organisé un vaste meeting dans le jurd au cours duquel le général s’est adressé pour la première fois à la foule par téléphone. Pierre Raffoul rappelle qu’à l’époque, les communications étaient difficiles et avec le général, ils échangeaient des lettres que Michel Aoun lui demandait de détruire après les avoir lues. Ce que d’ailleurs il n’a jamais fait…
Pour Pierre Raffoul, la force du « général » est qu’il n’a pas de double ou de triple langage. Il tient le même discours en privé, en public et par écrit. De même, c’est un visionnaire et un grand stratège, un chef militaire et politique redoutable et, en même temps, il n’a pas perdu son humanité, restant un homme tendre et affectueux qu’il a vu pleurer dans un coin à la mort de ses officiers. Selon lui, Aoun est resté proche des gens, soucieux de maintenir en eux la flamme de l’espoir et c’est pourquoi nul ne sort d’un entretien avec lui sans se sentir remonté et désireux d’agir, que la rencontre ait eu lieu en France, à Rabieh ou à Baabda.
Ce retour au palais présidentiel de Baabda, Pierre Raffoul n’en a donc jamais douté. Il confie qu’il l’avait même prédit en 1994, dans un ouvrage qu’il a publié. Un autre livre devrait paraître bientôt, mais celui sur la présidence attendra encore quelques années. Le ministre chargé des Affaires présidentielles est convaincu que le mandat sera riche en réalisations, car il s’agit d’une question de foi, de conviction et de détermination. Déjà, toute l’atmosphère du palais présidentiel a changé, puisque l’on y voit désormais des fonctionnaires souriants, motivés et actifs, contrairement à l’image traditionnelle des fonctionnaires du secteur public.
Dans son bureau, Pierre Raffoul enchaîne les rendez-vous. Faisant partie des plus proches collaborateurs du président (tout en siégeant au conseil politique du CPL avec les autres membres fondateurs), il est constamment sollicité et il suit de nombreux dossiers, étant chargé par le chef de l’État de veiller à ce qu’ils soient traités. Ses fonctions ministérielles, M. Raffoul les conçoit d’ailleurs comme une sorte de secrétariat particulier du président, qui lui confie, en plus, des missions précises. Il n’assiste pas seulement aux réunions du Conseil des ministres (il raconte à cet égard qu’au cours de la première réunion, le discours du président a marqué les ministres), il a accompagné le président dans son premier voyage à Riyad et à Doha. Il confie d’ailleurs avoir perçu l’immense respect dont jouit le nouveau président auprès des dirigeants de ces pays, qui montre que quelque chose a réellement changé dans la perception de l’État. Pierre Raffoul estime qu’en bientôt trois mois, le président a donné une nouvelle impulsion aux institutions. Mais il reconnaît que le défi est immense. Toutefois, ses nombreuses années aux côtés, ou à l’ombre, de Michel Aoun lui ont appris qu’avec cet homme-là, rien n’est impossible.