La cinéaste libanaise, qui raconte dans «Capharnaüm» l’histoire de deux enfants des rues entre errance et misère, invoque sa «responsabilité en tant qu’artiste».
Sur son compte Instagram, on la voit, silhouette brune un peu floue, en train de répondre au téléphone. Elle hurle «compétitiooooooon» tandis que toute son équipe pousse des hourras. Quelques mois plus tard, sur la terrasse d’un palace, le lendemain de la projection cannoise de Capharnaüm, Nadine Labaki sourit : «Le film a été très bien accueilli[pas par le staff critique de Libération, ndlr], je suis émue. Cela fait quatre ans que je travaille sur ce projet. On n’a quasiment pas dormi pendant les six derniers mois de montage pour être prêts à temps.»
Elle a choisi le titre avant même de commencer l’écriture, en guise de clin d’œil à ce moment où elle a jeté comme ça, pêle-mêle, «les thèmes qui l’obsédaient» sur un grand tableau. Après Caramel, sélectionné à Cannes en 2007, où elle dresse le portrait de cinq femmes dans un salon de beauté, la cinéaste libanaise de 44 ans s’attarde cette fois sur «ceux qu’on ne voit pas, les enfants des rues, ceux qui sont négligés, maltraités»pour comprendre «comment le système peut les exclure». Elle a passé de longs mois à visiter les prisons pour mineurs ou assister aux audiences dans des tribunaux pour enfants à la recherche de «la vérité», «pour pouvoir raconter ce qu’ils vivent réellement».
Le film s’ouvre d’ailleurs par cette scène : un enfant de 12 ans, traits fins et visage buté, est debout dans un tribunal, il veut intenter un procès à ses parents. Pourquoi l’ont-ils mis au monde si c’est pour le laisser livré à lui-même ? Nadine Labaki a rencontré Zain Al Rafeea, jeune réfugié syrien qui incarne le rôle principal, «grâce à sa formidable équipe de casting qui a sillonné tout le Liban». Il était en train de jouer dans une rue de Beyrouth. «J’ai su tout de suite que c’était lui», dit-elle. Avant de raconter : «Le tournage était simple, j’étais à l’écoute, j’adaptais ma fiction à sa vérité. Nous avons pris le temps pendant six mois.»
La cinéaste qui a travaillé dans la publicité avant de commencer à faire des films considère qu’elle «a désormais une responsabilité en tant qu’artiste». Elle a été candidate sur une liste indépendante baptisée «Beyrouth ma ville» aux élections municipales de 2016 (emportant 40 % des suffrages) et «se sert du cinéma pour changer les choses, du moins en rêver». Lucide, elle ajoute : «C’est peut-être un peu naïf.»