Les nouveaux rapports de force compliquent la formation du gouvernement

Bien qu’on ne puisse pas véritablement parler d’un retard dans la naissance du gouvernement, les tractations pour sa formation créent un malaise dans les milieux politiques.

Au-delà des portefeuilles qui font l’objet de convoitises, ce sont les rôles politiques dans l’étape à venir qui sont en jeu. Contrairement à ce qui se dit sur le peu d’importance du gouvernement, dont la durée de vie devrait être limitée en raison de l’organisation des élections législatives au printemps ou au plus tard à la fin de l’été, cette équipe ministérielle sera déterminante pour l’étape future. C’est elle qui devrait avoir en charge l’élaboration d’une nouvelle loi électorale (ou le maintien de l’actuelle). Tout comme elle devrait être responsable de la tenue des élections législatives, et par conséquent des campagnes électorales. C’est pourquoi toutes les composantes politiques du pays souhaiteraient en faire partie et avoir même des portefeuilles dits « de services » qui permettent d’utiliser la fonction ministérielle à des fins électorales, selon une pratique devenue courante au Liban.

Pour ces raisons, les tiraillements sont nombreux, mais le vrai nœud se résume aujourd’hui à la participation du chef des Marada au gouvernement.
Depuis que le chef du courant du Futur Saad Hariri a décidé d’appuyer la candidature de Sleiman Frangié à la présidence de la République, les relations de celui-ci se sont détériorées avec le général Michel Aoun et son camp. M. Frangié s’est vu d’un coup propulser au rang de candidat favori et il était réellement à deux doigts de la présidence. Cette décision de Saad Hariri avait été d’ailleurs prise en désespoir de cause, après avoir pendant près d’un an et demi tenté, d’abord d’obtenir une prorogation du mandat de Michel Sleiman, puis de lancer la candidature de Samir Geagea et ensuite de proposer en douce des candidatures dites « consensuelles ». Finalement, M. Hariri et ceux qui l’appuient ont compris que le Hezbollah n’accepterait pas un candidat considéré comme à mi-chemin entre les deux camps et leur choix s’est donc porté sur Sleiman Frangié, qui a aussitôt obtenu l’appui de Nabih Berry et de Walid Joumblatt.

Malgré cela, le Hezbollah a continué à soutenir la candidature de Michel Aoun, qui a ensuite obtenu l’appui des Forces libanaises, et finalement c’est M. Aoun qui est devenu président. Ce rappel est nécessaire pour mieux comprendre les véritables rapports de force qui ont permis la tenue de l’élection présidentielle.

Le président élu, le malaise entre Aoun et Frangié aurait pu être circonscrit. Il aurait fallu que le second adresse ses félicitations au premier. Ce qu’il a d’ailleurs fait, à sa manière, en déclarant à la sortie du Parlement le 31 octobre : « Notre camp politique a gagné. » Mais il n’a pas été plus loin et il s’est aussi abstenu de se rendre au palais de Baabda pour les consultations parlementaires destinées à la désignation du Premier ministre, sollicitant Amal et le Hezbollah pour obtenir une participation au gouvernement.

Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, qui était totalement opposé à la candidature de Frangié au point de prendre ses distances avec Saad Hariri et de décider d’appuyer la candidature de Michel Aoun, s’est glissé dans cette brèche pour continuer sa campagne contre M. Frangié en s’opposant à sa participation au gouvernement. L’enjeu dépasse bien entendu les griefs personnels. Samir Geagea souhaite être le leader chrétien fort suite à la « neutralisation » de Michel Aoun devenu président et de son camp qui doit se tenir à ses côtés. Mais il n’est pas le seul. Les médias proches du tandem chiite Amal-Hezbollah laissent entendre aussi que le chef du CPL, Gebran Bassil, principal négociateur au nom du président, serait aussi hostile à l’octroi d’un « portefeuille important » au chef des Marada. Selon ces médias, il ne s’agirait pas simplement d’une absence d’atomes crochus entre les deux hommes, mais du besoin qu’a M. Bassil du soutien des Forces libanaises pour se faire élire député à Batroun, face à une coalition Marada-Kataëb-Boutros Harb.

Les milieux proches du CPL rejettent cette théorie, rappelant que depuis le début, Gebran Bassil est la cible d’une campagne de dénigrement sans précédent, parce qu’il est considéré comme le plus proche collaborateur de Michel Aoun. En l’attaquant, c’est donc le président qu’on cherche à atteindre, sachant que depuis le retour de M. Aoun au Liban en 2005, ce dernier n’a cessé de confier les dossiers les plus délicats à Gebran Bassil qui a réussi à les gérer avec une loyauté sans faille et une grande efficacité.

C’est lui qui a mené les délicates discussions avec le Hezbollah, à un moment où il était très difficile de rencontrer des représentants de ce dernier en raison de la puissance du mouvement du 14 Mars. C’est aussi lui qui a mené les négociations avec le courant du Futur qui ont été couronnées par l’élection présidentielle du 31 octobre. C’est encore lui qui a pris en charge les ministères des Télécoms puis de l’Énergie et enfin des Affaires étrangères, à des périodes particulièrement délicates. Au point de susciter un tollé généralisé au cours de la dernière réunion des ministres arabes des Affaires étrangères au Caire, alors qu’il avait reflété la position officielle libanaise, qui a d’ailleurs été reprise par le ministre de l’Intérieur au cours d’une réunion arabe à Tunis. Toutes les polémiques autour de lui ne peuvent pas être le fait du hasard, affirment les sources proches du CPL qui sont convaincues que les flèches sont essentiellement destinées au président. On accuse ainsi Gebran Bassil d’avoir conclu des arrangements secrets avec les Forces libanaises pour assurer son élection à Batroun. Mais il n’y a rien de secret dans la décision de donner aux FL des portefeuilles importants dans le premier gouvernement après l’élection présidentielle. Par contre, l’insistance à sous-entendre qu’il existe des points cachés dans l’entente avec les FL est suspecte. Elle vise peut-être l’entente entre le CPL et le Hezbollah.

Dans un contexte régional et international changeant, les tractations pour la formation du gouvernement reflètent le flou politique actuel et la difficulté de dessiner les contours de l’étape future