Le projet de loi sur l’ordre des rédacteurs, un pas dans la bonne direction

Entre deux conflits et deux échanges animés, le Conseil des ministres a adopté mercredi un projet de loi sur l’ordre des rédacteurs de presse présenté par le ministre de l’Information, Melhem Riachi. Entre le dossier des déplacés syriens et celui de l’électricité, cette décision est passée pratiquement inaperçue. Elle constitue pourtant une véritable révolution, non seulement au niveau de l’ordre des rédacteurs, mais aussi dans l’attitude du pouvoir politique à l’égard de cet ordre.

Depuis sa création, ce dernier a toujours été placé quasiment sous deux tutelles, celle du ministère de l’Information et celle de l’ordre de la presse, sachant que le pouvoir politique a toujours une certaine appréhension à l’égard des rédacteurs et préfère garder un œil, et peut-être plus, sur leur travail. Cette règle est d’ailleurs valable partout dans le monde, à des degrés divers…

Si le projet adopté en Conseil des ministres obtient donc l’aval du Parlement, l’ordre des rédacteurs de presse pourra, pour la première fois depuis sa création, bénéficier d’une véritable autonomie. C’est une grande première qui n’aurait pas été possible sans les efforts de Melhem Riachi, décidé à marquer son intérêt pour la presse et sa liberté en cette période de crise, mais aussi sans la présence à la tête de l’État d’un homme, Michel Aoun, qui a un intérêt particulier pour la presse écrite et qui est attaché à son rôle. Sur l’impulsion de ces deux hommes déterminés à aboutir à un résultat concret, le conseil de l’ordre des rédacteurs a travaillé de concert avec les conseillers du ministre pour finalement parvenir à un projet de loi qui modifie totalement cet organisme. Si la loi est appliquée, ce dernier n’aura plus d’excuse pour ne pas remplir son rôle initial de soutien et de rassembleur de la presse.

Ouverture

Membre de la commission conjointe qui a planché sur le projet pour lui donner sa forme définitive adoptée par le gouvernement, Ali Youssef, trésorier de l’ordre des rédacteurs, explique que la première innovation du projet réside dans l’ouverture de l’ordre à tous ceux qui travaillent dans le domaine des médias d’information. Jusqu’à présent, l’ordre était réservé aux journalistes de la presse écrite. Ce qui, dans les années 60, était sans doute représentatif des journalistes. Mais, avec le temps, cette disposition a contribué à transformer l’organisme en une sorte de club fermé. Désormais (si la loi est adoptée), tous ceux qui travaillent dans le domaine de l’information peuvent y adhérer. Certes, il y a eu de longues discussions sur la définition de celui ou celle qui peut être considéré(e) comme travaillant dans ce domaine et il a été finalement convenu d’élargir au maximum la définition, tout en restant dans le cadre de l’information. Autrement dit, ceux qui travaillent dans l’audiovisuel (radio et télévision) dans le cadre de programmes liés à l’information peuvent présenter des demandes d’adhésion.

Dans ce contexte, la grande innovation est aussi dans la suppression de la fameuse commission conjointe entre l’ordre de la presse (les patrons de la presse écrite) et l’ordre des rédacteurs, chargée de statuer sur les demandes d’adhésion, qui était lente à prendre ses décisions, lesquelles devaient d’ailleurs faire l’objet d’un accord. Dans ce projet, l’adhésion est acquise à partir de la vérification des conditions requises.

Une révolution

La question des sites électroniques d’information est restée en suspens, car elle exige une loi spéciale pour réglementer ce secteur encore nouveau. Mais ce qui compte, c’est que l’ordre des rédacteurs pourra désormais rassembler la grande famille de ceux qui travaillent dans le domaine de l’information. Ce qui signifie que les petits syndicats qui ont proliféré ces derniers temps ne devraient plus avoir de raison d’être, d’autant que leur statut légal repose sur une notification du ministère de l’Intérieur, à l’instar des ONG, non d’une loi comme l’ordre des rédacteurs. Cette disposition est en elle-même une révolution, car elle devrait permettre à l’ordre d’augmenter son nombre d’adhérents (qui sont actuellement près de 1 200), et, par la même occasion, son poids et son influence sur le cours des événements.

Autre innovation, le projet de loi prévoit la création d’un Fonds de retraite et d’une mutuelle pour tous les adhérents. Ce qui devrait permettre d’aider ceux qui travaillent dans le domaine de l’information, qui jusqu’à présent ne bénéficient d’aucune prestation particulière après leur passage à la retraite ou en cas de licenciement (situation hélas fréquente ces derniers temps). Comme les salaires dans ce domaine ne permettent pas d’importantes cotisations, il a été prévu de trouver des sources de financement à ces fonds. Une loi annexe devrait y pourvoir. Le fonds et la caisse devraient être placés sous la responsabilité de membres élus par l’assemblée générale. Cela leur donne une légitimité et évite les interférences des membres du conseil de l’ordre qui a pratiquement les fonctions de bureau exécutif.

Enfin, le projet de loi renforce l’autonomie de l’ordre des rédacteurs par rapport à la tutelle du ministère de l’Information. Par exemple, le règlement interne de l’ordre qui est établi par le conseil élu avait besoin de l’approbation du ministère. Cette disposition a été annulée. Tout comme ont été annulées les commissions conjointes entre l’ordre des rédacteurs et l’ordre de la presse. De même, les membres du conseil disciplinaire ne sont plus choisis par les conseils exécutifs des deux ordres, mais ils sont élus par l’assemblée générale de l’ordre des rédacteurs.

Il reste à rappeler que ce projet de loi est un complément du projet de loi sur l’information qui attend toujours d’être soumis au vote du Parlement. Le ministre Melhem Riachi avait promis d’aider la presse écrite. Il a fait bien plus que cela. Il a offert à ceux qui travaillent dans les médias un cadre qui leur permet de constituer un groupe puissant, qui garantit leurs droits au lieu qu’ils soient contraints de dépendre de la classe politique. Certes, il reste encore beaucoup à faire, mais le projet adopté mercredi est incontestablement un pas dans la bonne direction