Le Hezbollah, vrai vainqueur de la guerre de Syrie?

des membres du mouvement libanais du Hezbollah au garde-à-vous lors des funérailles d’un combattant, tué à la frontière orientale avec la Syrie, le 28 août 2017 (AFP)

Le groupe libanais a tiré plusieurs avantages de son engagement en Syrie, notamment l’amélioration de son équipement militaire et l’accroissement de son influence régionale

Rétrospectivement, les raisons pour lesquelles le Hezbollah est entré dans la guerre en Syrie étaient évidentes. La chute potentielle du président Bachar al-Assad faisait peser une menace existentielle par la coupure de ses lignes d’approvisionnement avec l’Iran. Bien que le secrétaire général Hassan Nasrallah ait d’abord hésité, des combattants ont été envoyés sur place dès 2012.

Aujourd’hui, il est clair que l’implication du Hezbollah a été l’une des nombreuses interventions clés qui ont contribué à sauver Assad, mais qu’est-ce que cela signifie pour le mouvement libanais ? Le « parti de Dieu » est-il plus fort ou en plus grande difficulté après six ans de guerre ?

Au-delà de la survie d’Assad, le Hezbollah a tiré plusieurs avantages de son implication en Syrie, notamment l’amélioration de son expérience militaire, le perfectionnement de ses équipements et de son personnel militaire et l’accroissement de son poids régional.

Une expérience en guerre urbaine

En termes d’expérience militaire, le conflit est très différent des guerres menées avec Israël depuis les années 1980, ce qui a contraint le Hezbollah à s’adapter et à acquérir de nouvelles compétences. 

Il a maintenant une expérience en guerre urbaine, mais aussi du combat à l’intérieur du territoire ennemi, de la collaboration avec soutien aérien et de la coopération avec des groupes autres que le Hezbollah, notamment les principales armées étatiques, comme celles de la Russie et des intervenants non arabes, dont les milices chiites afghanes et pakistanaises.

En termes d’équipement militaire, l’Iran a mis à profit la guerre pour augmenter massivement les stocks du Hezbollah, qui comprennent désormais des missiles guidés, des drones armés sans pilote, des missiles balistiques à courte portée et des missiles antichar. Elle compte aujourd’hui environ 130 000 roquettes et missiles, contre 15 000 à la veille de la guerre de 2006.

L’Iran a utilisé la guerre pour augmenter massivement les stocks du Hezbollah, qui comprennent désormais des missiles guidés, des drones armés sans pilote, des missiles balistiques à courte portée et des missiles antichar

En termes de personnels, pour combattre en Syrie, le Hezbollah a dû augmenter massivement ses recrutements. Il a élargi son bassin de recrutement en assouplissant ses exigences idéologiques et les critères d’âge – très stricts auparavant. Cela lui vaut de disposer d’une « armée » permanente de 20 000 combattants, aux côtés de dizaines de milliers d’autres réservistes libanais et des milices syriennes alliées pour faire la guerre par procuration.

L’influence régionale du Hezbollah, avec désormais une présence en Irak et au Yémen, ainsi qu’en Syrie, a également été renforcée. Jusqu’à 500 spécialistes du Hezbollah ont été envoyés en Irak depuis 2014 pour former Hachd al-Chaabi, entre autres contre le groupe État islamique (EI), tandis que Nasrallah joue régulièrement un rôle de médiation entre les factions chiites irakiennes.

Un nombre inconnu d’agents du Hezbollah ont également été envoyés au Yémen pour former des combattants houthis, tandis que le Hezbollah entretient désormais des relations directes avec la Russie, tant au niveau opérationnel que politique. Résultat, le Hezbollah s’est transformé : il est entré en Syrie comme mouvement local libanais, mais est devenu un acteur armé régional important.

Conséquences sur le plan intérieur

Tout cela a eu un prix, cependant. Le nombre de morts est élevé. Les analystes estiment que le Hezbollah a perdu entre 1 000 et 2 000 combattants en Syrie – jusqu’à 10 % de ses combattants, dont des commandants et des vétérans de grande valeur ayant participé aux guerres des années 1990 et 2006 en Israël.

Des critiques ont été formulées quant au nombre élevé de victimes parmi la base populaire libanaise du Hezbollah et, pour limiter partiellement ces répercussions, un effort délibéré a été consenti pour engager davantage de recrues issues de la région de la Bekaa-Hermel orientale du Liban plutôt que des bastions plus traditionnels du sud et de Beyrouth-Sud.

Il y a eu aussi d’autres conséquences intérieures. En 2013-2014, les djihadistes, sympathisants de l’opposition anti-Assad, ont lancé des attaques contre le Hezbollah et principalement contre des zones de population chiite au Liban. Cette situation a finalement été résolue grâce à des campagnes militaires et à des tractations de politique intérieure. En effet, aujourd’hui au Liban le Hezbollah s’avère fort.

Ses alliés, dont le président Michel Aoun, sont au pouvoir, tandis que son rival de longue date, l’Alliance du 14-mars, s’est fracturée. Par ailleurs, son chef, Saad Hariri, est d’autant plus conciliant qu’il est affaibli.

Un combattant du Hezbollah brandit le drapeau du groupe, lors d’une visite guidée dans une zone montagneuse autour de la ville syrienne de Flita, le 2 août 2017 (AFP)

D’autres conséquences de la guerre syrienne restent toutefois non encore résolues pour le Hezbollah. La guerre a coûté cher. Alors que de nouvelles sanctions frappent son allié et principal bienfaiteur, l’Iran, le parti de Dieu peine à payer les hausses de salaires et de pensions exigées par sa liste croissante de recrues et de victimes. Il a déjà dû réduire certains des services essentiels fournis à sa base populaire défavorisée. Cela ne suffira pas à retourner la population contre le Hezbollah, mais pourrait avoir un impact sur l’attrait à long terme du groupe.

Plus pressantes sont les craintes qu’Israël lance une attaque importante pour contrer la puissance croissante du Hezbollah. Toute guerre future serait beaucoup plus destructrice qu’en 2006, tant pour Israël que le Liban, ce qui a jusqu’à présent dissuadé les deux parties – mais une flambée accidentelle est toujours possible, surtout depuis que des tensions se manifestent autour de la présence du Hezbollah sur le plateau syrien du Golan.

La présence de la Russie en Syrie comme médiateur potentiel pourrait calmer la situation. Jusqu’à présent, Israël a lancé des dizaines d’attaques en Syrie, sans provoquer une escalade significative ni d’un côté ni de l’autre. Mais on touche ici à de fragiles équilibres.

Encore plus puissant

Enfin, l’avenir du Hezbollah en Syrie n’est pas clair. Les dirigeants du mouvement ont déclaré qu’ils ne se retireraient qu’une fois conclu un règlement politique, et le nombre des combattants a récemment été réduit en raison de la diminution de la violence. Craignant peut-être de perdre d’autres précieux combattants, le Hezbollah est passé du de rôle de combattant à celui de formateur de mandataires syriens ainsi que de forces afghanes et pakistanaises pro-iraniennes.

Cela dit, le Hezbollah semble maintenir une présence permanente dans des lieux stratégiques clés, tels que Qousseir, Qalamoun et Sayyida Zeinab. De plus, vu la proximité du Liban, il peut facilement envoyer des troupes de combat si Assad ou l’Iran en ont besoin pour de futures attaques contre Idleb ou l’Euphrate oriental.

Bien que le groupe se soit avéré un allié loyal et précieux pendant le conflit syrien, sa direction est probablement consciente qu’elle ne peut pas subir indéfiniment de lourdes pertes au combat et elle espère pouvoir réduire au minimum le nombre de ses membres à mesure que la guerre progresse.

Dans l’ensemble, le Hezbollah s’est bien sorti du conflit syrien. C’est aujourd’hui une puissance régionale beaucoup plus puissante et mieux formée qu’elle ne l’était avant la guerre. Cependant, il est encore limité financièrement et en nombre de recrues, et il ne lui reste plus qu’à espérer que la guerre syrienne prendra bientôt fin et qu’un nouveau conflit avec Israël sera évité, ce qui consolidera sa nouvelle position.

Christopher Phillips est maître de conférences en relations internationales à la Queen Mary University de Londres et chercheur associé au programme pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord de Chatham House. Il est l’auteur de The Battle for Syria: International Rivalry in the new Middle East. Une nouvelle édition de poche mise à jour est disponible aux éditions Yale University Press.