Depuis l’élection de son allié le général Michel Aoun à la présidence, le Hezbollah affiche une grande sérénité. Il se paie même le luxe de faire profil bas sur la plupart des questions internes libanaises, qu’il s’agisse de la formation du gouvernement ou des décisions politiques qui marquent le début du nouveau mandat présidentiel. Officiellement, le Hezbollah a chargé son allié chiite, le président de la Chambre Nabih Berry, de gérer les questions politiques avec les différentes parties et il affirme se concentrer sur les questions régionales, notamment la guerre qui continue de se dérouler en Syrie. Mais même la reprise d’Alep par les forces du régime syrien, dans laquelle il a joué un rôle important, sinon décisif, ne pousse pas le parti à se présenter en vainqueur, ayant la victoire plutôt modeste, en comparaison avec la caractéristique arabe des fanfaronnades et des célébrations grandioses de victoires souvent virtuelles.
Le calme du Hezbollah qui se veut un message de confiance dans la nouvelle situation politique du pays est-il le fruit d’une conviction profonde et d’un sentiment de sécurité face au nouveau cours des événements ou bien cache-t-il autre chose ? Selon des sources proches du parti, le Hezbollah considère l’élection du général Michel Aoun comme une victoire stratégique pour lui et pour ses orientations politiques. Il estime avoir mené une longue bataille, envers et contre tous (y compris les alliés), de plus de deux ans et demi (la bataille présidentielle a commencé avant le vide à la tête de l’État) pour arriver à ce résultat, sans jamais modifier sa position d’appui total au général Aoun. Pour lui, cette élection est donc bien plus qu’un témoignage de fidélité à un homme qui a été solidaire avec le parti dans un moment particulièrement difficile (la guerre de 2006) et bien plus qu’un remboursement de dette. Il s’agit d’une option stratégique dont les effets se feront sentir dans les années à venir.
Mais en même temps, la nature de son combat contre un ennemi (Israël) qui a des tentacules un peu partout dans le monde et qui bénéficie d’appuis solides au sein de la communauté internationale, sans parler de ses instruments, anciens et nouveaux, notamment les extrémistes islamistes, le pousse à être constamment sur ses gardes. Alors que d’autres parties, à sa place, seraient actuellement en train de célébrer la double victoire, de Aoun à la présidence et de la reprise d’Alep par les forces du régime syrien, le Hezbollah, lui, se concentre sur la préparation de la prochaine confrontation, même s’il en ignore encore les contours et les nouveaux acteurs. Exactement comme il l’avait fait à partir du 26 mai 2000, au lendemain du retrait des troupes israéliennes du Liban, et à partir du 15 août 2006.
Derrière l’apparence de la sérénité, le Hezbollah est actuellement, selon les mêmes sources, une véritable ruche. Les efforts se concentrent dans trois directions : d’abord, poursuivre les combats en Syrie pour consolider les acquis, ensuite, procéder à une restructuration interne, après les changements imposés par la guerre en Syrie, et enfin, rester prêt pour toute nouvelle confrontation, qui pourrait revêtir diverses formes. Le Hezbollah pense en effet qu’Israël et ses alliés internationaux et régionaux n’accepteront pas facilement la défaite de leurs paris en Syrie et le renforcement du camp dit de la résistance. Ils vont donc tout faire pour provoquer de nouveaux conflits destinés à mettre en difficulté et à affaiblir cet « axe ». Logiquement, le premier futur champ de bataille auquel pense le Hezbollah est le triangle Golan-Syrie-Liban où, à travers certaines factions de l’opposition syrienne, Israël pourrait songer à ouvrir un nouveau front qui lui permettrait de faire d’une pierre deux coups. D’abord, en permettant à l’opposition syrienne d’avancer et de créer une sorte de zone tampon, Israël affaiblit le régime syrien et ses alliés, et d’autre part, ce front met en difficulté le Hezbollah en Syrie et au Liban, puisque selon la géographie de la région, il est dans le prolongement de Chebaa et de la région de Hasbaya. Depuis quelques mois en effet, les déplacés syriens se sont multipliés dans la région de Chebaa et de Hasbaya, constituant aux yeux du Hezbollah une menace potentielle. D’autant qu’il existe un point de passage qui n’est pas sous le contrôle de l’armée libanaise entre la région de Quneïtra et Chebaa. Il en existe un autre qui mène vers le secteur de Hasbaya, mais il est directement sous le contrôle des Israéliens. Cette zone est donc considérée à haut risque et exige du Hezbollah une grande vigilance, d’autant que les habitants sont en majorité druzes ou sunnites.
Pour le Hezbollah, la vigilance n’est pas seulement militaire. C’est pourquoi il a lancé une grande opération de réforme interne, selon le principe suivant : la guerre qui est menée contre lui n’est pas seulement militaire. Elle est aussi médiatique, économique et politique. C’est pourquoi il songe désormais à ne plus dissocier les unités combattantes (jihadistes) de celles politiques, médiatiques et administratives, en regroupant le tout sous le titre de la résistance. C’est pourquoi, dans ce contexte, et en dépit de l’apparent retrait, le Hezbollah suit avec beaucoup d’attention ce qui se passe à l’intérieur du pays, intervenant discrètement lorsqu’il le faut, mais choisissant sciemment de rester discret médiatiquement. En dépit des victoires qu’il a enregistrées ces derniers temps au Liban et en Syrie, il est convaincu que l’heure n’est pas aux lauriers mais aux préparatifs…