La classe politique avait misé sur les sessions de dialogue ouvertes initiées par Nabih Berry et nombreux avaient espéré une percée au niveau de la présidence. En fin stratège, le président de la Chambre n’aurait jamais entrepris une telle action, s’il n’avait pas bon espoir de pouvoir enregistrer des résultats à travers un compromis global. Entre ce qui était prévu et ce qui se cachait derrière ce fameux compromis, Magazine fait le point.
En appelant à la tenue d’un dialogue national, le président Nabih Berry a eu au moins le mérite d’éloigner le spectre d’une nouvelle constituante et de rassurer ceux qui portaient sur ce dialogue un mauvais œil. Ces sessions intensives devaient aboutir à l’élection d’un président de la République, qui n’était, en réalité, que la première clause du compromis global. Venait ensuite le gouvernement avec son chef, sa composition, sa déclaration ministérielle et la répartition des portefeuilles. Un accord sur une nouvelle loi électorale et sur le fait de ne pas lier les législatives à celle-ci aurait dû également voir le jour. Les participants devaient s’entendre sur la tenue des législatives à temps, selon la loi en vigueur, pour couper court à toute prorogation. Le commandement de l’armée figurait également parmi les clauses à débattre, en raison de la sensibilité du poste qui fait partie de l’équation du pouvoir et de l’équilibre général des forces. Parmi les clauses, figuraient aussi le dossier des déplacés syriens et les armes dans les camps. Les participants au dialogue devaient aussi se mettre d’accord sur l’exécution de tout ce qui n’avait pas été appliqué dans l’accord de Taëf, notamment la création du haut comité pour l’abolition du confessionnalisme, la création du Sénat dont les membres seront élus en fonction de leur représentation confessionnelle, chaque communauté choisissant ses représentants et dont le président appartiendra à la communauté druze. Toutes ces questions se regroupent sous le plafond de l’accord de Taëf et ne représentent pas une atteinte au fameux accord ou un amendement de celui-ci. Le président Berry manifeste un grand souci à cet égard pour calmer les esprits et éloigner l’idée d’une nouvelle constituante.
L’évocation du Sénat a suscité plus d’une interrogation sur son timing et son utilité dans les circonstances présentes, alors que sa création ne représente pas une priorité. Les participants veulent-ils faire passer le temps ou sortir de ce dialogue avec une réalisation, alors qu’ils ont échoué à provoquer une brèche dans la loi électorale et dans la crise présidentielle, qui dure depuis plus de deux ans? Pourtant, le Sénat ne représente pas une entorse à Taëf puisqu’il y est mentionné.
Elargir le dialogue pour qu’il comprenne la création du Sénat est une manière d’ouvrir de nouveaux horizons et de maintenir en vie un dialogue visiblement dans l’impasse. De plus, un accord sur le Sénat – au cas où il a lieu – ira de pair avec une nouvelle loi électorale, proche de la loi orthodoxe, dans le sens où chaque communauté choisira ses représentants. Le Sénat rassure les communautés et calme leurs appréhensions, car il aura la prérogative de régler toutes les affaires liées aux communautés, à leurs intérêts et à leurs droits. Cette Chambre sera également l’organe compétent pour ratifier les traités internationaux portant sur l’entité libanaise. Il aura aussi le mérite de briser la réalité des trois grandes communautés en octroyant à celles dont le nombre n’est pas élevé un rôle dans le régime libanais et les introduira dans le cercle des présidences.
Sous la table
Pourtant, ces titres officiellement annoncés ne concernent pas à eux seuls le compromis global. Il existe des appendices et des accords en coulisse et sous la table à travers lesquels chacun obtiendra sa part «à la libanaise». Nabih Berry se réserve le dossier du pétrole. Walid Joumblatt obtient ce qu’il veut dans la loi électorale, qui fait du Chouf et de Aley une seule circonscription et sa part dans le dossier du pétrole est réservée auprès de Berry. Saad Hariri se taille une part dans la présidence du gouvernement, dans la loi électorale et dans le pétrole. L’ancien président du Conseil estime que ce poste doit lui être normalement dévolu, sans qu’il ne doive rien à personne, puisqu’il est le résultat et l’expression de la taille importante de son bloc parlementaire. Hariri réclame une loi électorale qui assure sa présence politique et le maintien de son bloc, ainsi qu’une part du pétrole dans toutes les étapes de ce dossier, jusqu’à son exécution. Le général Michel Aoun prend la présidence de la République et le commandement de l’armée. Avec son allié Samir Geagea, ils obtiennent tous les deux une nouvelle loi électorale et un poids important dans le prochain gouvernement.
Les acquis du Hezbollah
Quant au Hezbollah, il réalise des acquis au niveau stratégique, relatifs à la Résistance, à son rôle, ses armes, sa relation avec l’armée et le peuple, ainsi que sa guerre contre le terrorisme en Syrie. Cette fois, une plus-value cherche à être réalisée au niveau de sa présence et de son rôle dans le gouvernement, à travers le renforcement de la part et de l’influence de la communauté chiite au sein de l’Exécutif. De la sorte, le poids de cette communauté sera en fonction de son poids réel sur le terrain, après les différents changements intervenus depuis Taëf au niveau sécuritaire, militaire, économique et social.
Des informations font état que le Hezbollah réclamera une réduction du rôle et du pouvoir de la présidence du Conseil au cas où il n’obtiendra pas de nouvelles prérogatives pour la communauté chiite. Cette réduction ne se fera pas au niveau de ses attributions constitutionnelles, mais de son autorité sur les différents conseils, caisses et organes sous sa tutelle et relevant de la communauté sunnite et de la présidence du Conseil.
Beaucoup doutent que ce compromis voit le jour avant la fin de l’année, car ses conditions ne vont pas se réaliser pour permettre l’élection d’un président sur leurs bases. L’autre alternative serait de passer de l’élection présidentielle aux législatives. Plusieurs raisons empêchent la concrétisation de cet accord, notamment la crise syrienne, qui est en relation directe avec la situation au Liban, ce qui pousse à un gel des dossiers, en attendant les développements en Syrie. En outre, le conflit irano-saoudien, qui atteint son paroxysme et s’étend désormais de l’Irak, à la Syrie, au Yémen, au Bahreïn jusqu’au Liban et la Palestine, n’indique aucune détente entre les deux pays, qui pourrait se traduire au Liban. Finalement, les élections présidentielles américaines mettent en suspens tous les dossiers et toutes les crises de la région qui attendent le nouveau locataire de la Maison-Blanche.
Joëlle Seif
Le Sénat, une idée avancée dès 1926
Le Sénat a été mentionné pour la première fois dans la Constitution libanaise publiée le 23 mai 1926, mais fut annulé ultérieurement par la loi constitutionnelle parue le 17 octobre 1927 sous l’impulsion des autorités sous le mandat français. A l’époque, il était composé de 16 membres qui furent alors inclus au Parlement. De nouveau, le Sénat fut introduit par l’article 22 de l’accord de Taëf en 1990 qui dispose: «Avec l’élection de la première Chambre sur des bases nationales et non confessionnelles, un sénat sera créé, dans lequel seront représentées toutes les familles spirituelles et dont les prérogatives se limiteraient aux affaires cruciales». Mais, depuis, personne n’a pris l’initiative d’appliquer cet article et l’affaire était restée en suspens.
La simple évocation du Sénat a donné libre cours à une controverse liée à sa présidence. La communauté druze estime que la présidence lui revient, car elle est privée de toute position importante. Elle se fait forte d’une promesse faite durant les négociations à Taëf, que la présidence de ce conseil, au cas où il sera créé, lui reviendra. A son tour, la communauté orthodoxe s’estime supérieure en nombre à la communauté druze et pense que la vice-présidence de la Chambre et du gouvernement ne vaut rien sans prérogatives. Quant à la communauté catholique, elle se voit égale en nombre aux druzes et se considère absente du pouvoir même au niveau des ministères après l’apparition de la lubie de confier les portefeuilles ministériels clés aux trois grandes communautés. A l’instar des orthodoxes, les catholiques estiment que les quatre présidences doivent être réparties équitablement entre musulmans et chrétiens: les chrétiens auront deux présidences, la République et le Sénat, alors que les musulmans auront deux autres, la Chambre et le gouvernement.