La propagande d’Israël (extrait)

« Par une nuit chaude de juillet 1994, des centaines de personnes s’étaient rassemblées dans une salle d’université à Tel-Aviv pour écouter un débat sur le savoir et le pouvoir en Israël…

Une telle affluence avait surpris les organisateurs qui avaient prévu un petit débat essentiellement intellectuel et qui avaient sciemment choisi de l’organiser au moment même d’une demi-finale de la Coupe du Monde qui se jouait aux États-Unis.

Ils espéraient que le public se serait limité aux quelques mordus susceptibles de renoncer à une soirée de football pour le plaisir d’un petit extra d’érudition. Néanmoins, les étudiants avaient afflué vers la salle trop exiguë et c’est ainsi que, dans les plus brefs délais, l’événement avait dû être transféré dans une salle plus vaste.

Selon un compte rendu, sept cents personnes avaient assisté au débat qui opposait deux historiens d’Israël, un « ancien » et un « nouveau », ainsi que deux sociologues, l’un « établi » et l’autre « révisionniste ». J’étais le nouvel historien.

Le débat en lui-même fut tout sauf le dialogue annoncé et se résuma à quatre conférences, ponctuées par nombre de manifestations bruyantes de mauvaise humeur. Mais, apparemment, le public se divertit autant que la plupart des supporters qui avaient encouragé les demi-finalistes à l’autre bout de la planète.

La question posée était significative : Les institutions académiques israéliennes étaient-elles un outil idéologique aux mains du sionisme ou un bastion de la liberté de pensée et d’expression ?

La grande majorité du public était présente parce qu’elle penchait vers la première conclusion et qu’elle doutait de l’indépendance des universitaires israéliens.

Si l’approbation peut être évaluée à l’aune des applaudissements, le public avait été largement favorable à mon collègue Shlomo Svirsky et à moi-même, représentants respectivement de la Nouvelle Histoire et de la nouvelle sociologie d’Israël, et bien moins impressionné par Anita Shapira et feu Moshe Lissak, de la vieille garde. La plupart, toutefois, n’auraient pas parcouru le kilomètre de plus qu’une telle prise de position requérait d’eux.

Mais certains l’ont fait et, comme moi, ont finalement quitté le pays en désespoir de cause, incapables de modifier le statu quo. Pourtant, cet événement a contribué à animer un moment historique important, lorsque les Israéliens se sont mis à douter de la validité morale du concept d’Israël et ont eu la possibilité, pendant un bref instant, de le remettre en question, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des tours d’ivoire des universités.

La remarque la plus mémorable de cette soirée était venue de Moshe Lissak, le doyen de la sociologie israélienne traditionnelle et lauréat du prestigieux prix Israël. De l’histoire d’Israël, il avait dit : « J’accepte qu’il y ait deux discours mais, du nôtre, il a été prouvé scientifiquement qu’il était le bon. »

Cette remarque et mes agréables souvenirs de l’événement et de l’époque dans son ensemble – unique dans l’histoire du pouvoir et de la connaissance – m’ont inspiré pour rédiger le présent ouvrage. C’est un livre sur Israël en tant que concept et il s’est développé à partir de cette tentative de courte durée et avortée de défier le pays de l’intérieur.

Chaque livre traitant d’Israël tente de disséquer une réalité complexe et ambiguë. Pourtant, bien qu’on choisisse de décrire, d’analyser et de présenter Israël, le résultat sera toujours à la fois subjectif et limité. Néanmoins, le caractère subjectif et relatif de toute représentation n’invalide pas le débat moral et éthique autour de cette représentation.

En fait, avec le recul permis au début du vingt et unième siècle, les dimensions morales et éthiques d’un tel débat n’importent pas moins que les problèmes de substance, de faits et de preuves. À l’instar du débat de Tel-Aviv, les versions de la réalité en Israël sont multiples et contradictoires et il est rare qu’elles partagent la moindre base consensuelle.

Il convient toutefois d’insister sur le fait qu’elles ne sont pas que diverses versions d’un débat intellectuel. Elles se rapportent directement aux questions de la vie et de la mort et, dès lors, toute tentative de mener ce genre de conversation de façon neutre, objective, purement scientifique est vouée à l’échec.

Pour un nombre sans cesse croissant de personnes, Israël, ou plutôt le concept d’Israël, symbolise l’oppression, la dépossession, la colonisation et l’épuration ethnique alors que, par ailleurs, un nombre sans cesse décroissant de personnes alignent les mêmes idées et événements dans une histoire de rédemption, d’héroïsme et de justice historique.

Le long du continuum entre les deux extrêmes, on retrouve d’innombrables gradations d’opinions fortement affirmées.

Dans le présent livre, je soutiens que ces versions qui s’opposent ne concernent pas Israël en tant que tel, mais plutôt le concept d’Israël.

Manifestement, Israël en soi n’est pas uniquement un concept. C’est avant toute chose un État – un organisme vivant qui existe depuis plus de soixante ans.

Nier son existence est impossible et irréaliste. Cependant, procéder à son évaluation éthique, morale et politique est non seulement possible, mais urgent, aujourd’hui, et comme jamais encore auparavant. »

Source: La propagande d’Israël d’Ilan Pappé, le nouveau livre publié par Investig’Action.

Aussi disponible en Ebook

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