En Arabie saoudite, la colère gronde contre Saudi Oger

La détresse sociale des milliers d’employés du géant du BTP dirigé par Saad Hariri s’est traduite ces dernières semaines par plusieurs manifestations violentes.

Les explosions de violence se succèdent depuis plusieurs semaines sur des sites de Saudi Oger en Arabie saoudite, le géant du BTP détenu par l’ex-Premier ministre Saad Hariri. Cause de cette grogne sociale exacerbée : les retards de paiement de salaires qui durent depuis plusieurs mois. Mardi, des salariés ont dégradé des voitures et des camions appartenant à l’entreprise sur un de ses plus grands chantiers, celui des logements de la garde nationale saoudienne à Riyad.

Sur les clichés relayés par plusieurs salariés interrogés par L’Orient-Le Jour on peut apercevoir plusieurs voitures renversées, d’autres aux vitres brisées et camions brûlés… Les manifestants, dont le nombre n’est pas clair, auraient ensuite été évacués. « C’est la première fois que ça arrive. À Dhahran, la police est venue calmer les manifestants, mais elle n’a évacué personne », commente un Libanais qui vient de quitter l’entreprise. Fin mai, il avait assisté au saccage du bureau du directeur du projet géré par l’entreprise sur le King Abdulaziz Center for World Culture à Dhahran. Un autre Libanais, employé par un concurrent de Saudi Oger en Arabie saoudite, rapporte que cette attaque a été suivie, quelques jours plus tard, par une manifestation violente devant les bureaux de l’entreprise à Riyad.

Saudi Oger n’a pas commenté publiquement ces incidents, rapportés par plusieurs médias locaux ou libanais, ni répondu aux sollicitations de L’Orient-Le Jour.

Enlisement

Ces émeutes, qui n’ont pas fait de blessés, témoignent d’une montée croissante de la frustration des employés face à l’enlisement d’une crise sociale dont ils ne voient pas la fin. En début d’année, ils étaient environ 38 000, mais plusieurs milliers ont été ensuite licenciés.

Licenciés ou pas, la quasi-totalité continue de subir des retards de paiement qui varient entre quatre et huit mois, selon l’importance du projet géré par Saudi Oger. Une situation qui n’épargne pas ses milliers d’employés libanais.

Des employés qui semblent avoir perdu espoir de récupérer rapidement leur dû, compte tenu des promesses non tenues par l’entreprise. Dans une lettre adressée en février à l’ambassadeur de France en Arabie saoudite, Bertrand Besancenot, Saad Hariri avait promis une régularisation des salaires à partir de mars, ce qui n’a pas été suivi d’effet, ou alors seulement de manière ponctuelle envers certains employés.

En attendant, les répercussions de ce défaut de paiement s’aggravent. Depuis que l’entreprise n’est plus en mesure de verser les salaires, les autorités saoudiennes l’empêche de renouveler le permis de séjour (iqama) de ses employés, avec les conséquences dramatiques que cela entraîne, dont le gel de leurs comptes en banque. Selon plusieurs sources, les employés ont pu les renouveler eux-mêmes à partir de mai dernier, avec l’aide de certaines ambassades. « Nous sommes intervenus auprès des autorités pour faciliter le renouvellement de l’iqama de ceux qui le souhaitent », confirme l’ambassade de France en Arabie saoudite. « Plusieurs familles, pas toutes, ont pu le renouveler. En revanche, c’est elles qui ont dû payer, alors que c’est normalement l’employeur qui le fait », ajoute-t-elle.

Contactée, l’ambassade du Liban dans le royaume a refusé de s’exprimer sur cette affaire et n’a donc pu indiquer si elle était intervenue de son côté pour protéger ses ressortissants.

Accepter de se parjurer

« Le renouvellement coûte plus de 800 dollars, mais j’ai dû régler 1 100 dollars au total, amende comprise, car c’était la deuxième fois de suite que mon iqama expirait », explique un cadre libanais, qui n’a pas reçu de salaire depuis plus de sept mois. Selon lui, Saudi Oger lui doit un peu moins de 70 000 dollars. « De nombreuses personnes ont dû emprunter de l’argent pour payer leur iqama, et nombre d’entre elles n’ont pas pu le faire du tout », ajoute-t-il.

Les employés qui réussissent à trouver un autre travail ne sont pas pour autant débarrassés de leurs soucis financiers et doivent même accepter de se parjurer pour pouvoir se libérer de leur engagement avec l’entreprise. En Arabie saoudite, la loi stipule en effet que, pour changer de sponsor, l’employé doit signer une déclaration affirmant qu’il a reçu tout ce qui lui est dû de la part de son ancienne entreprise. « Je n’ai rien reçu depuis janvier, mais j’ai dû signer cette déclaration sinon je n’aurais pas pu changer d’employeur », raconte l’ancien salarié libanais de Saudi Oger. Son cas ne surprend pas le cadre libanais précité. « Je connais des centaines de personnes qui signent des déclarations similaires », confie-t-il, ajoutant qu’elles sont également requises pour quitter définitivement le pays.

Un pays qui devient de moins en moins attractif pour les salariés du secteur de la construction, dans un contexte de chute des prix du pétrole. De fait, toutes les grosses entreprises du BTP sont touchées de plein fouet par la politique d’austérité mise en place par leur client principal, l’État.

Binladen Group, entreprise de BTP saoudienne qui compte parmi les plus importantes au monde, a récemment licencié 69 000 employés sur un total compris entre 200 000 et 250 000 salariés, selon l’agence Reuters. Certains d’entre eux, qui n’ont également pas été payés depuis plusieurs mois, ont notamment incendié plusieurs bus de l’entreprise début mai.

En avril, le ministre de la Défense et vice-prince héritier du royaume d’Arabie saoudite, Mohammad ben Salmane, avait pourtant affirmé que l’État saoudien avait réglé une partie de ses engagements à plusieurs entreprises de construction. « De nombreuses compagnies ont déjà été payées, et le reste va suivre », avait-il déclaré. Il avait toutefois ajouté que le cas Saudi Oger était « différent ». « Nous lui avons versé plusieurs paiements, mais elle est endettée en Arabie saoudite et à l’étranger. Donc, dès que nous lui transférons de l’argent, les banques le retirent », avait indiqué le vice-prince héritier.

En attendant que la « Vision 2030 », présentée en avril dernier par les autorités pour diversifier l’économie du royaume, se concrétise et puisse redonner un nouvel élan au secteur, les employés de Saudi Oger semblent n’avoir d’autre choix que celui de l’escalade pour se faire entendre. « Nous souhaitons tous que Saudi Oger se rétablisse, mais M. Hariri doit être juste et honnête envers ses employés et les laisser partir avec leurs droits. (Surtout), qu’il arrête de les provoquer en les ignorant, tout en s’affichant dans des iftars somptueux ! » commente, amère, l’épouse d’un ex-salarié français qui a récemment trouvé un autre emploi.