A quelques jours de la fermeture de Naamé, quel bilan peut-on dresser de cette période transitoire? Pourquoi les odeurs persistent? A quoi s’attendre cet été?
Deux mois après l’adoption du plan gouvernemental pour sortir le pays de la crise des déchets, la colère grogne toujours du côté des écologistes et de la société civile.
Pour Paul Abi Rached, président de l’association Terre-Liban, les deux solutions adoptées par le gouvernement que sont la réouverture des décharges côtières pour une période de quatre ans et la mise en place de l’incinération à long terme sont en contradiction totale avec la signature du Liban de la convention de Paris, le 23 avril dernier.
«A New York pour signer la Cop 21 (Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), destinée à ralentir le réchauffement climatique, Tammam Salam était en contradiction totale avec sa politique de gestion des déchets au Liban», s’insurge Abi Rached.
Rappelons que le plan gouvernemental, adopté le 12 mars dernier, prévoyait la réouverture de la décharge de Naamé pour une période transitoire de 60 jours afin d’accueillir les déchets anciens (ceux accumulés depuis huit mois).
La solution gouvernementale prévoit, ensuite, une période temporaire de quatre ans qui porte sur le réaménagement des décharges de Bourj Hammoud/Bauchrié et de celle de Costa Brava, à Khaldé.
La première devrait desservir les régions du Kesrouan, du Metn et une partie de Baabda, tandis que la seconde devrait accueillir les nouveaux déchets provenant de la banlieue sud de Beyrouth et de la région de Choueifate et de Aley. Les déchets provenant de la capitale administrative seront répartis entre ces deux décharges et celle de Saïda.
Les odeurs persistent
A quelques jours de la fin de la période transitoire de 60 jours, alors que la quasi-totalité des déchets accumulés depuis huit mois sont censés avoir été transportés à Naamé, plusieurs questions restent en suspens. Comment expliquer les odeurs persistantes? A quoi s’attendre cet été? Le problème survenu à Naamé, l’été dernier, peut-il se reproduire?
Pour Raja Noujaim, coordinateur de la coalition antigouvernementale et scientifique: «Cela risque de continuer à puer encore longtemps. La raison est simple. Il ne suffisait pas de transporter les ordures de Beyrouth à Naamé. Il fallait nettoyer et traiter biologiquement les zones pour anéantir les bactéries et éviter que les odeurs et gaz résidus de la décomposition de huit mois de déchets ne se dégagent».
Selon Noujaim, les autorités n’ont pas traité biologiquement les zones où étaient déposées les ordures lors de leur transfert de Beyrouth à Naamé, laissant ainsi proliférer les bactéries.
A la question de savoir ce qui risque de se passer une fois la fin de cette période transitoire arrivée, Raja Noujaim insiste: «Pour le moment, la société civile n’ose pas bouger. Tout le monde attend que les déchets soient ramassés. Ensuite, la contestation risque bien de reprendre de plus belle. Une crise des déchets de plus grande ampleur cette fois va se passer cet été, j’en suis persuadé. Personne n’acceptera cette option».
Une nouvelle crise des déchets à venir, Ziad Abi Chaker, fondateur de Cedar Environmental, en est, lui aussi, persuadé. «Selon moi, ce ne sera pas cet été, mais d’ici trois à quatre mois, une fois que les nouveaux déchets commenceront à être transportés vers Bourj Hammoud et Costa Brava. Ces deux sites arriveront très vite à saturation et là une nouvelle crise débutera comme l’été dernier et même pire. Le gouvernement a prévu une période temporaire de quatre ans, alors que ces sites ne pourront pas accueillir plus de quatre mois de déchets, six au grand maximum», prévient le scientifique.
Contacté au téléphone à de nombreuses reprises, le ministre de l’Agriculture, Akram Chéhayeb, chargé de la gestion de la crise des déchets, n’était pas disponible pour répondre aux questions de Magazine.
Un business en toute impunité
Où sont allés les déchets pendant huit mois? Ils ne sont pas restés à Beyrouth et au Mont-Liban, selon Paul Abi Rached. Il estime qu’au moins la moitié des déchets produits pendant les huit mois de crise ont été déplacés durant cette période, de manière illégale et sous couvert des autorités aux quatre coins du pays. «En réalité, personne ne sait combien de tonnes de déchets ont été déplacées dans les carrières au Sud, au Nord ou encore dans la Békaa. A cause de l’urgence de la situation, il s’est créé un véritable business autour des ordures. Certains propriétaires de camions ont facturé des déplacements pouvant aller jusqu’à 1 000 dollars. Les Forces de sécurité intérieure et militaires ont laissé passer des camions d’ordures aux barrages, ce qui signifie que des personnes haut placées avaient connaissance de ce trafic illégal.