Même si certains irréductibles optimistes continuent à évoquer une possibilité de déblocage politique au cours des prochains mois, la tension est en train de monter dans la région. Les arènes de confrontation entre Téhéran et Riyad augmentent au lieu de se réduire.
À la Syrie et au Yémen (et un peu en Irak et au Liban), il faut désormais ajouter le royaume de Bahreïn, où les dirigeants ont décidé de frapper de façon radicale une opposition qui dure depuis plus de cinq ans, pacifiquement sans s’essouffler. Même si, officiellement, il s’agit d’une affaire intérieure au royaume (le pouvoir a décidé de retirer la nationalité à la plus importante figure de l’opposition chiite), il est clair que les Saoudiens, dont l’armée est présente sur le sol du petit royaume depuis cinq ans, appuient, voire encouragent, une telle démarche. Il s’agirait en réalité d’une mesure préventive pour tuer dans l’œuf toute contagion yéménite à Bahreïn, et les Saoudiens voudraient assurer leurs arrières dans les pays du Golfe, avant de passer à une nouvelle étape dans la confrontation. La riposte iranienne ne s’est pas fait attendre, et, pour la première fois, les Gardiens de la révolution iraniens ont publiquement commenté la décision des dirigeants de Bahreïn, laissant entendre qu’en agissant ainsi, le petit royaume ne laisse plus d’autre possibilité à son opposition que celle de recourir aux armes. La déclaration est d’une rare violence, même si des milieux diplomatiques arabes estiment que l’Iran n’a pas les moyens de former une opposition armée à Manama. Le ton menaçant des gardiens de la révolution iraniens n’aurait donc aucune traduction sur le terrain à Bahreïn.
Par contre, la confrontation risque de s’envenimer en Syrie et en Irak. Les derniers indices en provenance du terrain dans ces deux pays montrent que l’Iran et ses alliés ont décidé de reconstituer le « couloir chiite » (qu’ils préfèrent appeler l’axe de la résistance, d’autant qu’aussi bien en Syrie qu’en Irak il passe par des zones sunnites) qui commence à Téhéran et passe par l’Irak et la Syrie pour arriver au Liban. En gros, deux importants maillons sont encore manquants, la région située entre les limites de Mossoul jusqu’à Bagdad en Irak et la région de Deir ez-Zor en Syrie, après la reprise par l’armée syrienne de Palmyre et celle de Falloujah par l’armée irakienne. S’ils parviennent à reprendre ces zones, les Iraniens et leurs alliés auront réussi à neutraliser le coup qui leur a été porté par la chute de Mossoul aux mains de Daech en juin 2014, qui avait coupé le lien géographique entre l’Iran et ses alliés arabes. Même si tout le monde parle des batailles d’Alep et de Raqqa, c’est ce couloir qui constitue, selon des experts militaires, le véritable enjeu de la confrontation pour l’Iran. Mais il n’est pas forcément celui des Russes, qui préfèrent parvenir à un compromis avec les Américains, qui consacrerait leur influence dans la région.
C’est dans ce contexte compliqué que se poursuit au Liban la guerre politique et économique contre le Hezbollah pour l’encercler et le pousser à des concessions importantes qui neutraliseraient son rôle à la fois local et régional. Des sources proches de cette formation considèrent ainsi que les sanctions imposées par la loi américaine sur les dépôts bancaires au Liban ne visent pas directement le parti chiite, mais son environnement. Le plan est de susciter un mouvement de panique chez les déposants chiites dans les banques libanaises pour qu’ils s’empressent de retirer leurs avoirs. Ce qui devrait créer une grande pression sur la livre libanaise et un développement dramatique dans la situation économique déjà en crise du pays.
Appauvris, privés d’institutions étatiques et de protection sociale, les Libanais ne pourront que se soulever contre le Hezbollah rendu responsable de cette situation. Dès le début, le Hezbollah a flairé le piège et il s’est empressé de nouer un dialogue direct et indirect avec la Banque du Liban et l’Association des banques pour tenter autant que possible d’alléger l’impact des mesures américaines sur la situation économique intérieure. Mais, à chaque fois qu’un accord était conclu, il y a eu des tentatives pour le saboter. De même, toutes les tentatives de trouver une issue à l’impasse actuelle, par un dialogue multilatéral ou bilatéral, se heurtent aux cris des protestataires, qui, pour des raisons populistes ou stratégiques, choisissent d’exacerber les tensions confessionnelles. Selon une source diplomatique occidentale, les Libanais n’ont pas encore décidé de dissocier leur dossier de celui de la région.
Ils continuent à miser sur les axes régionaux et attendent une solution qui viendrait de l’extérieur. Mais leur attente risque d’être longue.