C’est l’ancien Premier ministre Fouad Siniora, un des faucons du courant du Futur et chef du bloc parlementaire du même nom, qui l’a déclaré à Baabda à l’issue de son entretien avec le chef de l’État : « La priorité est aujourd’hui le retour de Saad Hariri au Liban. »
Ce qui constitue une reconnaissance implicite de l’existence d’un flou autour de son départ précipité vers Riyad, vendredi soir, et de l’annonce de sa démission samedi. Ceux qui avaient des doutes sur le fait que le Premier ministre libanais ne soit pas réellement libre de ses mouvements en ont ainsi eu la confirmation indirecte, d’autant que depuis son départ, ses rares entretiens téléphoniques avec ses proches sont restés très laconiques. Par contre, c’est le ministre saoudien chargé des Affaires du Golfe, Thamer al-Sabhane, qui a visiblement pris le relais, multipliant ses entrevues avec les chaînes de télévision (samedi, il a été interrogé par trois chaînes, la LBCI, la MTV et la Future TV, sans parler de ses nombreux tweets et de l’entretien accordé lundi soir à la chaîne al-Arabiya). Ce que Saad Hariri n’a pas donc pu dire, c’est le ministre Sabhane qui s’en est chargé, mettant le Liban face à un choix impossible : soit la guerre contre le Hezbollah, soit la guerre contre l’Arabie saoudite et ses alliés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si M. Hariri s’est rendu de Riyad à Abou Dhabi (et, dit-on, à Bahreïn), l’allié fidèle du royaume saoudien et de son prince héritier, le prince Mohammad ben Salmane. Il est donc clair que les dirigeants saoudiens ont décidé de porter un coup à ce qu’ils considèrent être « l’influence iranienne » dans la région, à partir du Liban. Comme ils étaient mécontents de l’attitude qualifiée de trop conciliante du Premier ministre Saad Hariri à l’égard du Hezbollah, ils ont décidé de réagir avec force en le poussant à démissionner avec une déclaration violente à l’égard du Hezbollah et de l’Iran, tout en limitant sa liberté de mouvement et de parole.
La nouvelle de la démission a eu l’effet escompté, provoquant une sorte de séisme politique dans le pays. Mais le président de la République a décidé de ne pas jouer le jeu et de ne pas entrer dans un cycle de violence verbale. Il a préféré accuser le coup et garder son calme, insistant sur la nécessité de s’entretenir directement avec le Premier ministre pour entendre de sa bouche les véritables raisons de cette démission inattendue. Les autorités saoudiennes ont indirectement riposté à cette attitude en déclarant lundi que le roi Salmane a reçu « l’ancien Premier ministre du Liban ».
Malgré cela, le président Michel Aoun a maintenu sa position : Saad Hariri ne sera démissionnaire que lorsqu’il présentera sa démission au Liban. En même temps, il a cherché à resserrer les rangs internes en invitant à Baabda les responsables et chefs de bloc parlementaire ainsi que les chefs de parti, pour des concertations politiques. Le chef de l’État a expliqué à tous ses interlocuteurs que la démission télévisée à partir d’un territoire étranger est une première inacceptable et qu’il faut tout faire pour que le Premier ministre puisse rentrer au pays. Selon ses interlocuteurs, le chef de l’État avait même sollicité une intervention du roi Abdallah de Jordanie et du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi dans ce but, mais les deux dirigeants arabes ont déclaré qu’ils n’ont rien pu faire. Le président de la Chambre a même pris le relais auprès des autorités égyptiennes qu’il vient de rencontrer. En vain. Il faut préciser à cet égard que MM. Berry et Hariri avaient convenu de se rencontrer dimanche au Caire, où le Premier ministre était attendu, alors que le président de la Chambre y effectuait déjà une visite officielle. Mais, selon des informations recoupées, les autorités égyptiennes ont reçu un coup de fil de Riyad pour annoncer que le Premier ministre libanais ne pourrait pas se rendre au Caire à la date prévue pour rencontrer le président Sissi. De même, la France et la Grande-Bretagne ont été sollicitées dans le même but, sans grand résultat, selon des sources diplomatiques libanaises.
Indépendamment des raisons invoquées par M. Hariri dans l’annonce télévisée de sa démission sur la chaîne saoudienne al-Arabiya, les circonstances de son séjour en Arabie saoudite restent donc mystérieuses et suspectes. C’est pourquoi le Liban officiel a décidé de réagir en prenant son temps pour statuer sur le sort de la démission, tout en donnant la priorité à l’unité nationale et au départ de Saad Hariri de Riyad. C’est dans cette optique que le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, s’est rendu lundi chez la députée Bahia Hariri après un entretien avec le chef de cabinet de Saad Hariri, Nader Hariri. Hier, il s’est rendu à Dar el-Fatwa pour une rencontre avec le mufti Abdellatif Deriane. Pour le président et son camp, ainsi que pour M. Berry et les autres responsables du pays, l’important pour l’instant est d’apaiser la communauté sunnite qui est actuellement tiraillée entre la colère et l’humiliation, et en même temps de ne pas ouvrir la voie à une frustration qui pourrait se transformer en radicalisation. Éviter toute précipitation et toute riposte violente est donc le mot d’ordre aujourd’hui. Le président Aoun estime que la meilleure réponse aux appels à la division et à la violence reste la pondération et le calme. Sa position consistant à considérer que le Premier ministre n’est pas démissionnaire tant qu’il ne sera pas rentré au Liban pour annoncer sa décision est à la fois une perche tendue à ce dernier et une façon de gagner un peu de temps pour que les choses se précisent. À Baabda, hier, tout le monde était d’accord pour dire que la situation est grave et sérieuse, mais il y a une solution à tout, l’essentiel étant l’unité interne