Wahhab réclame que le procureur général Hammoud soit dessaisi de l’affaire l’opposant à Hariri

L'ancien ministre druze prosyrien Wi'am Wahhab (c) lors des funérailles de son garde du corps, le 2 décembre 2018 à Jahiliyé, dans le Mont-Liban. REUTERS/Ali Hashisho

“Sans vouloir devancer les enquêtes en cours, toutes les preuves que nous possédons affirment que Mohammad Abou Diab a été tué par les FSI”, lance l’avocat de l’ancien ministre druze.

L’avocat de l’ancien ministre druze Wi’am Wahhab, Maan el-Assaad, a réclamé lundi que le procureur général près la cour de cassation, Samir Hammoud, soit dessaisi de l’affaire opposant M. Wahhab au Courant du Futur du Premier ministre désigné, Saad Hariri. M. Hammoud avait émis le mandat d’amener en vertu duquel les Forces de sécurité intérieure se sont rendues samedi au domicile de M. Wahhab, à Jahiliyé dans le Chouf, une intervention au cours de laquelle un garde du corps de l’ancien ministre a été tué.

Venu représenter M. Wahhab au palais de Justice dans cette affaire, Me el-Assaad a affirmé que “le procureur général près la cour de cassation, le juge Samir Hammoud, a fait une erreur (en acceptant la plainte déposée par des avocats du Courant du Futur contre M. Wahhab, NDLR) et nous demandons réparation”, exigeant que le juge Hammoud soit dessaisi de l’affaire. Il a encore annoncé avoir demandé l’ouverture de trois recours en justice devant la cour de cassation. “Nous nous conformerons aux décisions de justice”, a-t-il ajouté.

L’avocat de Wi’am Wahhab, ancien ministre pro-8 Mars, a par ailleurs accusé les FSI d’avoir tué le garde du corps de M. Wahhab samedi. Mohammad Abou Diab avait succombé à ses blessures, après les affrontements opposant les partisans de M. Wahhab aux forces de l’ordre venues interpeller ce dernier. “Sans vouloir devancer les enquêtes en cours, toutes les preuves que nous possédons affirment que Mohammad Abou Diab a été tué par les FSI”, a-t-il lancé avant l’audience au palais de justice.

Plus tôt dans la journée, Wi’am Wahhab avait ironisé sur le déroulement de ces événements. Il a publié sur son compte Twitter une photo montrant des dizaines de chars et de véhicules blindés, avec la légende : “Ils viennent m’annoncer que je dois payer une amende pour excès de vitesse”.

Les SR des FSI s’étaient rendus au village pour interpeller le chef du parti al-Tawhid et recueillir son témoignage suite à une procédure judiciaire engagée contre lui après ses attaques frontales contre le Premier ministre désigné, Saad Hariri, dans le contexte du bras de fer qui oppose ce dernier au Hezbollah autour de la formation du nouveau gouvernement. L’unité des FSI n’a toutefois pas trouvé M. Wahhab à son domicile, et l’intervention des forces de l’ordre a provoqué la colère de ses partisans. Des heurts ont aussitôt eu lieu entre ces derniers et les policiers, faisant plusieurs blessés. En soirée, le garde du corps de M. Wahhab, Mohammad Abou Diab, devait décéder des suites de ses blessures. Les FSI ont par la suite publié un communiqué clarifiant et détaillant les incidents de Jahiliyé, affirmant qu’Abou Diab avait été blessé par des tirs des partisans du leader druze après le départ des forces de l’ordre. M. Wahhab a été frappé d’interdit de voyage sur ordre du parquet.

Les FSI ont “exagéré”
Les délégations de différentes parties politiques se sont par ailleurs succédé lundi à Jahiliyé afin de présenter leur condoléances pour la mort Mohammad Abou Diab. Une délégation du Courant patriotique libre (CPL, aouniste), présidée par le ministre sortant de l’Environnement, Tarek el-Khatib, est arrivée dans le fief de M. Wahhab dans l’après-midi. “Tout martyr qui tombe dans la Montagne est une perte pour la Montagne, le Liban et tous les Libanais, et pas seulement pour sa famille et son village”, a-t-il dit.
Selon des informations rapportées par la LBCI, le ministre sortant des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a chargé Tarek el-Khatib, de transmettre un message à M. Wahhab. Cette lettre interviendrait dans le cadre d’une tentative du ministère des AE de “calmer (la situation) dans les relations interdruzes”, selon des informations de la chaîne. La lettre de M. Bassil appelle au calme et au dialogue pour régler les différends, toujours selon la LBC qui rapporte que les deux parties druzes tiennent à coopérer.

Plus tôt dans la journée, c’était le député sunnite de la Békaa-Ouest proche du 8 Mars Abdel Rahim Mrad, qui était venu présenter ses condoléances. A son départ du village du Chouf, il avait reproché au service des renseignements des FSI d’avoir “exagéré” lors de son déploiement dans la localité de Jahiliyé. “C’est la première fois qu’une interpellation se passe de la sorte”, a estimé M. Mrad, qui fait partie du groupe des six députés sunnites prosyriens qui revendiquent un siège dans le futur gouvernement, ce que le Premier ministre désigné Saad Hariri refuse. “Les SR ont exagéré”, a-t-il insisté.

Abdel Rahim Mrad a par ailleurs réaffirmé que les sunnites pro-8 Mars étaient “en droit d’être représentés dans le gouvernement”, soulignant que deux semaines s’étaient écoulées depuis que ces derniers ont demandé à rencontrer Saad Hariri, sans réponse de sa part.
La formation du gouvernement bute sur l’attribution d’un siège dans le futur cabinet à l’un de ces six députés sunnites. Leur revendication est soutenue par le Hezbollah mais catégoriquement rejetée par le Premier ministre désigné. La semaine dernière, une source au sein du Courant du Futur avait déclaré que M. Hariri ne recevrait jamais à la Maison du Centre les six députés sunnites.
Lundi, le cheikh Nabil Kaouk, membre du Conseil central du Hezbollah, a affirmé que sa formation accepterait “tout accord entre Saad Hariri et les six députés sunnites”, reprochant au chef du gouvernement son “attitude négative” parce qu’il refuse de recevoir ces députés.

Dans l’après-midi, une délégation du Hezbollah s’est rendue à Jahiliyé pour présenter ses condoléances. “Le but de la force qui est entrée à Jahiliyé n’était pas d’informer (M. Wahhab de sa convocation) mais bien plus que cela, a déclaré le vice-président du conseil politique du Hezbollah, Mahmoud Comaty. Ce comportement aurait pu mener à la sédition et à un massacre”. “L’axe de la résistance dans la région est victorieux, a-t-il ajouté. Mais au Liban, nous ne suivons pas la logique du vaincu et du vainqueur, mais la logique du partenariat”. Le responsable a également appelé “la justice et les forces de sécurité à ne pas entrer dans le jeu politique”. “En ce qui nous concerne, la stabilité de la Montagne et du Liban est un objectif essentiel et il nous importe que la Montagne reste sûre. Nous n’acceptons aucune sédition, que ce soit dans la Montagne ou dans le pays tout entier”.

“L’histoire du Hezbollah est pleine de loyauté”, a pour sa part affirmé M. Wahhab en recevant la délégation. “Concernant Saad Hariri, où est le problème si j’ai une position contre lui?”, a-t-il ajouté, niant toutefois s’être pris à l’ancien Premier ministre Rafic Hariri.

Le bloc parlementaire de la Rencontre démocratique présidé par Teymour Joumblatt a de son côté appelé les forces politiques à “revoir leurs positions dans l’intérêt du Liban et de la paix civile” et a appelé à la tenue d’une session extraordinaire au Parlement pour “étudier la situation générale du pays”.  Faisant allusion à M. Wahhab sans le nommer, le bloc a dénoncé le niveau du langage politique et la violation des lois ainsi que des pratiques qui ont mené à des tensions sur le terrain. “Nous avons plusieurs fois mis en garde contre ces comportements dont Mohammad Abou Diab a payé le prix et nous présentons nos condoléances aux habitants de Jahiliyé et à la famille de la victime”, a ajouté le bloc. Et de poursuivre : “Face à cette réalité douloureuse, nous ne pouvons que réitérer notre appel à toutes les forces politiques pour qu’elles revoient leurs positions et pour qu’elles privilégient la raison dans l’intérêt du Liban et de la paix civile”.
“Nous ne sommes pas préoccupés par la formation d’un front druze à l’opposition mais ce qui nous préoccupe c’est la crise au Liban. Si elle perdure, nous nous dirigeons vers des situations catastrophiques”, a encore mis en garde le bloc à l’issue de la réunion à laquelle a assisté Walid Joumblatt.

“La coordination avec le Hezbollah était aussi régulière que d’habitude, malgré les différences de points de vue. En ce qui concerne ce qui s’est passé à Jahiliyé et le martyr Mohammad Abou Diab, je présente mes condoléances. Nous sommes tous au service de la sécurité de la Montagne, quels que soient les différends”, a twitté le leader druze Walid Joumblatt, peu après la réunion de son bloc.

 

Le palais présidentiel a de son côté décidé de s’abstenir de tout commentaire en attendant que la justice se prononce.

Dans un commentaire publié sur son site, le Courant du Futur a estimé pour sa part qu’il n’y “aura pas de retour au règne des milices ni d’échappatoire à la justice”. Accusant M.Wahhab d’avoir “préparé des groupes armés à faire face à une force de sécurité officielle chargée d’exécuter une décision de justice rendue par une autorité officielle”, le commentaire affirme que “les données confirment que des hommes armés de Wahhab ont tiré plus de 5 000 balles samedi après-midi et que l’une d’entre elles aurait probablement touché l’un de ses gardes du corps, Mohammed Abu Diab”.

Polémique Wahhab-Machnouk
Enfin, le ministre sortant de l’Intérieur, Nohad Machnouk, a répondu aux propos de Wi’am Wahhab qui avait affirmé la veille à la télévision que M. Machnouk avait “continué à se rendre en Syrie après l’assassinat de l’ancien ministre Rafic Hariri en 2005 et jusqu’en 2011” et qui avait menacé de dévoiler “la véritable opinion” de M. Machnouk au sujet du Premier ministre désigné, Saad Hariri.

“Je pense que la dernière personne dans la République libanaise qui peut se mêler des relations entre Saad Hariri et moi-même est W’iam Wahhab”, a déclaré, M. Machnouk précisant que “la crédibilité de M. Wahhab ne lui permet pas de faire de telles affirmations, ni l’historique de ses attaques contre cette maison politique”. M. Machnouk a également menacé de dévoiler la “véritable opinion” de l’ancien ministre druze du président syrien Bachar el-Assad et du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah.

“Je me suis rendu en Syrie en 2005 et 2008 en tant qu’écrivain politique au quotidien as-Safir et j’ai écrit de nombreux articles politiques au sujet de la politique en Syrie”, a-t-il indiqué soulignant que “toutes ses visites étaient publiques”. M. Machnouk rappelle également qu’à l’époque il n’avait “aucun engagement politique avec le Courant du Futur ou M. Hariri”. “Après mon élection en 2009 (aux législatives, sur la liste de M. Hariri), je me suis rendu une seule et dernière fois à Damas, en coordination avec Wissam el-Hassan (ancien directeur des services de renseignements des Forces de sécurité intérieure)  j’ai rencontré (le chef des services de sécurité syriens) Ali Mamlouk et j’ai déjeuné avec (la conseillère du président syrien Bachar el-Assad), Boutheina Chaabane en présence d’un ami commun”.