Les relations entre le Liban et Israël n’ont jamais été aussi tendues, et les menaces israéliennes se font de plus en plus fermes, la dernière en date ayant été proférée vendredi dernier par Naftali Bennett, ministre israélien de l’Éducation. Ce dernier a estimé, dans une interview avec le quotidien israélien Haaretz, qu’en cas de guerre avec l’État hébreu, le Liban sera « renvoyé au Moyen Âge ».
Les propos de M. Bennett avaient été précédés, mi-février, par une lettre adressée par l’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon, dans laquelle ce dernier dénonçait « le réarmement massif du Hezbollah » et la « violation flagrante de la résolution 1701 ».
Ces prises de position israéliennes suivaient les déclarations controversées du président de la République, Michel Aoun, qui, dans le cadre de son déplacement en Égypte en février dernier, avait déclaré à la chaîne égyptienne CBC que « les armes du Hezbollah sont nécessaires ».
À ce scénario tumultueux s’ajoutent les déclarations, vendredi, du patriarche maronite, Béchara Raï, lors d’un entretien avec la chaîne Sky News en arabe, au cours duquel il a déclaré que l’intervention militaire du Hezbollah en Syrie « a divisé les Libanais ».
Interrogés par L’Orient-Le Jour, trois journalistes livrent leur lecture de la situation et tentent de répondre à la question qui taraude les Libanais : « Une guerre avec Israël aurait-elle lieu bientôt ? »
Hassan Fahs : Rien n’empêche que le premier coup soit porté à Baabda
« Je m’attends à une guerre avec Israël », déclare le journaliste Hassan Fahs, qui se dit « pessimiste » sur ce plan. « La situation régionale en Irak, en Syrie et au Yémen, et les nouvelles alliances qu’elle a mises en place laissent présager une nouvelle guerre avec Israël », indique M. Fahs.
« Aujourd’hui, la Turquie essaie de se trouver une place face à cette nouvelle donne, souligne Hassan Fahs. Va-t-elle continuer à œuvrer avec l’OTAN ou va-t-elle aller jusqu’au bout de sa coopération avec les Russes et les Iraniens ? De plus, l’hésitation égyptienne face aux causes arabes et la politique saoudienne très traditionnelle ralentissent les choses. Sans oublier le rôle grandissant de l’Iran dont le but stratégique est de devenir le pays qui aura le dernier mot dans la région. Israël n’est pas satisfait d’une telle situation et se trouve aujourd’hui obligé d’affronter directement l’Iran », analyse Hani Fahs.
« La guerre, que j’appelle “guerre de la paix”, va avoir lieu pour que les États-Unis, la Russie et l’Iran puissent ensuite se retrouver sur la table de dialogue. Les menaces israéliennes ne sont pas nouvelles, mais l’État hébreu est prêt à tout, et avec l’arrivée de Trump au pouvoir, tout est possible. La bataille entre Israël et le Hezbollah sera dure. Rien n’empêche que le premier coup soit porté au palais présidentiel », conclut Hassan Fahs.
Pierre Akiki : La position de Raï traduit un manque de vision
« Je ne pense pas qu’il y aura de guerre avec Israël bientôt. Quand l’État hébreu menace, c’est qu’il ne va pas frapper, il s’agit de paroles pour faire monter la tension. C’est lorsqu’Israël est silencieux qu’il faut avoir peur », affirme Pierre Akiki, journaliste au quotidien panarabe al-Arabi el-Jadid.
« En 2006, Israël avait déjà un plan d’attaque prêt, et il a pris l’enlèvement de deux de ses soldats par le Hezbollah comme prétexte pour déclarer la guerre. Il n’avait pas proféré de menaces avant, de même qu’en 1993 (opération “Justice rendue”) et en 1996 (opération “Raisins de la colère”) », indique M. Akiki.
Commentant les dernières déclarations du patriarche Raï, Pierre Akiki estime que ce dernier fait preuve de « manque de vision et remet sur la table de vieux dossiers qui divisent les Libanais, que ce soit concernant la responsabilité des Palestiniens dans la guerre libanaise ou le dossier du Hezbollah ». « Le discours de Mgr Raï sur le Hezbollah est adressé au président Aoun car ce dernier a pris la décision de défendre le Liban côte à côte avec le Hezbollah, selon l’équation “peuple, armée et résistance” », ajoute-t-il. « Le discours du patriarche n’aura pas beaucoup d’effets parce que le dossier des législatives va prendre le dessus avec soit une nouvelle loi électorale, soit l’ajournement des élections, soit des élections selon la loi dite de 1960 », souligne M. Akiki.
Ali Dahi : La société israélienne est basée sur la guerre
« Le Liban vit dans un conflit continu avec Israël. Le problème est que le pays porte le plus grand fardeau à cause de sa proximité géographique avec les territoires palestiniens, de la présence des camps palestiniens et du problème des armes à l’intérieur de ces camps », estime Ali Dahi, journaliste politique au quotidien al-Balad.
« Après le retrait israélien du Liban-Sud en 2000, le conflit avec l’État hébreu ne s’est pas arrêté car il reste encore des terres occupées, souligne M. Dahi. La société israélienne est basée sur la guerre. Ils haussent le ton de temps à autre pour encourager les jeunes à s’enrôler dans l’armée. »
Concernant les propos du patriarche Raï, M. Dahi estime qu’ils traduisent « une division déjà existante » au sujet du Hezbollah. « Mgr Raï est une référence nationale. Dans ses déclarations, il dit qu’il y a une division politique et non pas confessionnelle à propos des armes du Hezbollah et de ses fonctions », souligne-t-il avant d’ajouter : « Il n’y a pas d’informations au stade actuel sur une guerre proche avec Israël. »