Le prochain Mark Zuckerberg sera-t-il libanais? Cela pourrait faire sourire dans un pays doté d’une connexion Internet parmi les plus lentes au monde. Pourtant, aujourd’hui, cela ne semble plus si utopique…
A deux pas du centre-ville, dans le quartier de Bachoura qui porte encore les stigmates de la guerre, des constructions ultramodernes font mouche sur un terrain de 17 500 mètres carrés.
Les lieux aux allures de «petit Google» sont les immeubles du Beirut Digital District (BDD), un projet immobilier lancé en 2012 par la société privée ZRE. En pleine crise syrienne, cette dernière investit 250 millions de dollars pour faire des lieux le siège de la «Silicon Valley» libanaise.
«Notre objectif est de faire du quartier un cluster pour les industries créatives et digitales libanaises et même de la région», explique Mohamed Rabah, directeur du BDD.
Le projet, conçu en cinq phases étalées sur quinze ans, devrait évoluer chaque année, pour atteindre une surface totale de 120 000 m2.
La première phase de ce projet ambitieux vient de se terminer. «Pour cette première étape, qui a duré trois ans et demi, nous avons même dépassé nos objectifs, se félicite Mohamed Rabah. Sept anciens immeubles ont été rénovés sur une surface de 17 500 m2, alors que notre objectif était de 15 000 m2. Nous avons même plusieurs start-up qui demandent à être logées ici et dont nous ne pouvons pas encore satisfaire la demande».
Aujourd’hui, le BDD accueille 55 entreprises et quelque 1 200 employés. «Nous atteindrons les 1 400 membres avant la fin de l’année», ajoute M. Rabah avec satisfaction.
La deuxième phase du projet de ZRE s’étend sur la période 2016-2019 et vise à doubler la surface existante, le nombre d’entreprises implantées et celui des membres pour y accueillir quelque 2 500 personnes.
Aux côtés des start-up, des entreprises aux succès déjà bien affirmés ont aussi choisi d’y délocaliser leurs bureaux: c’est le cas de Diwanee et bientôt de Keeward. «Nous allons aussi accueillir l’Institut Cervantès, dans notre vision de créer un hub économique, technologique et culturel», annonce le directeur du BDD.
Pour lui, cela ne fait aucun doute: le Liban a définitivement de quoi devenir la capitale digitale de la région. «Nous ne sommes pas encore Dubaï, mais nous avons ce que Dubaï n’aura jamais: des talents que nous n’avons pas besoin d’importer. Beyrouth peut aujourd’hui devenir l’usine de Dubaï: produire ici pour vendre là-bas. C’est d’ailleurs déjà le cas. Les Libanais ont construit le Golfe. Il faut aujourd’hui qu’ils fassent profiter leur pays de ses ressources humaines. Si j’ai investi cette somme, c’est, avant tout, car je crois au potentiel de mon pays».
Un tournant digital amorcé par la BDL
Il n’est pas le seul à croire au potentiel du Liban comme hub technologique. Le développement de cet écosystème libanais est aussi, en grande partie, dû aux nombreuses initiatives mises en place par la Banque du Liban (BDL), depuis 2012, pour faire de Beyrouth la capitale digitale régionale. Parmi les plus importantes: la circulaire 331 lancée en 2013 pour encourager les banques commerciales à investir dans des start-up exerçant dans l’économie de la connaissance, tout en bénéficiant d’une garantie de leur exposition à au moins 75%.
«Jusqu’à présent, la circulaire 331 a mis à disposition de ces entreprises plus d’un demi-milliard de dollars, dont plus de 400 millions alloués au cours des deux dernières années, explique à Magazine Marianne Hoayek, directrice exécutive de la BDL. Avec cette circulaire, les banques sont ainsi passées du statut de prêteur à celui d’investisseur». La BDL a ainsi, au moins, plus que multiplié par dix l’argent disponible pour le financement des start-up, permettant à des jeunes Libanais tentés par l’exil de rester au pays et contribuer à l’essor de l’économie digitale.
Par le développement de la scène tech libanaise, la BDL espère, à long terme, contribuer à endiguer le fléau de la fuite des cerveaux libanais. «L’entreprise bénéficiant de la 331 doit soutenir le capital intellectuel et créatif dans n’importe quel secteur. Elle doit être une société par actions basée au Liban, vu que l’objectif principal est de créer des emplois localement», ajoute Marianne Hoayek.
Le bouillonnement de la scène tech libanaise pousse même des Libanais de la diaspora à venir tenter l’aventure entrepreneuriale au Liban. C’est le cas de Malek el-Khoury. A 23 ans, le jeune entrepreneur libanais a quitté sa Belgique natale pour revenir lancer, dans son pays d’origine, la toute première école de programmation du Liban: Le Wagon. «En 2014, lorsque je suis rentré de Belgique, je me suis aperçu que la scène tech libanaise était en pleine ébullition, raconte le jeune homme. Tout restait encore à faire et j’ai senti que je pouvais alors avoir un rôle à jouer dans ce nouvel écosystème». C’est dans l’un des bâtiments du BDD, au UK-Lebanon Tech Hub, une société d’accélération d’entreprises pure, produit de la circulaire 331, que M. Khoury a établi ses bureaux. Quarante-cinq start-up ont été accélérées au UK-Lebanon Tech Hub depuis sa création en 2015, lorsque deux banques commerciales investissent dans le projet garanti à 100% par la BDL.
Dépasser le manque d’infrastructures
AuBeirut Digital District, Mohamed Rabah entend bien atténuer au maximum le manque chronique d’infrastructures, l’un des principaux défis des entrepreneurs libanais. Les formules proposées par le BDD incluent, outre le loyer, des solutions comprenant notamment l’électricité 24 heures sur 24, l’accès à des salles de conférences, des espaces communs, la mise en relation avec un avocat pour l’aspect légal de l’entreprise et, surtout, l’image de marque du BDD et le réseau associé. Dix entreprises basées au BDD sont aujourd’hui connectées à la fibre optique. «Notre objectif, en créant le BDD, est de permettre aux entreprises basées ici de se concentrer uniquement sur leur travail, sans avoir à penser aux coupures d’électricité, à la lenteur d’Internet et tous les problèmes libanais», insiste le directeur des lieux.
S’il est encore trop tôt pour prédire le nombre de «success stories» libanaises qui pourront naître de ces initiatives, les acteurs de la scène tech sont très optimistes quant à de prochaines «exits» (sorties). Au cours des deux dernières années, le Liban a déjà enregistré deux cas de sortie: celle de Diwanee et de Shahiya, deux sites digitaux en langue arabe ciblant principalement les femmes de la région.
Début 2014, Diwanee a annoncé l’acquisition de la majorité de son capital par Webedia, une maison d’édition numérique basée à Paris.
En janvier 2015, le japonais Cookpad a, lui, racheté le site de cuisine Shahiya pour 13,5 millions de dollars, permettant ainsi au fonds libanais Middle East Venture Partner (MEVP) de réaliser un taux de rentabilité interne de 130%. De belles réussites qui laissent en espérer bien d’autres.
«Nous avons, au Liban, tous les obstacles possibles pour nous empêcher de faire des affaires, conclut M. Rabah. Mais c’est en quelque sorte ce qui fait notre plus grande force. Nous n’attendons aucune aide, ni du gouvernement ni de personne; nous sommes habitués à nous débrouiller seuls et à trouver des solutions à toutes sortes de problèmes. C’est ce qui fait des Libanais des entrepreneurs parmi les plus innovants de la planète».
Le cofondateur d’Apple à beyrouth
La BDL Accelerate, conférence lancée par la Banque du Liban en 2014 et qui rassemble, chaque année, plusieurs milliers d’investisseurs, professionnels de la tech, start-up, accélérateurs et incubateurs mondiaux, accueille, cette année, le cofondateur d’Apple, Steve Wozniak. 10 000 personnes sont attendues pour cette édition qui se tiendra du 3 au 5 novembre prochain au Forum de Beyrouth