Retrait américain de Syrie : les Européens inquiets, Moscou jubile

Des véhicules blindés de l'armée américaine à Hajine, dans la province de Deir ez-Zor, dans l'est de la Syrie, le 15 décembre 2018. AFP / Delil SOULEIMAN

Devant la consternation générale, le président US réplique que sa décision n’était pas une surprise et que les Etats-Unis n’avaient pas vocation à être “le gendarme du Moyen-Orient”.

La Russie a pris fait et cause pour Donald Trump jeudi après l’annonce d’un retrait des troupes américaines présentes en Syrie, les Européens redoutant en revanche que cela ne conduise à un retour en force du groupe Etat islamique (EI) sur le terrain.

“Donald a raison. Je suis d’accord avec lui”, a lancé le président russe Vladimir Poutine, dont le pays est à la manœuvre en Syrie aux côtés du régime de Damas, qualifiant de “juste” la décision de retrait. “Nous avons porté des coups sérieux à l’EI en Syrie”, a-t-il ajouté, revendiquant une partie des succès remportés contre l’organisation jihadiste sur le terrain.

France, Royaume-Uni et Allemagne, alliés des Etats-Unis dans la lutte contre l’EI et cibles régulières d’actions terroristes revendiquées par ce groupe, n’ont pas en revanche caché leur inquiétude.
“L’EI a reculé mais la menace n’est pas terminée”, a résumé le chef de la diplomatie allemande Heiko Maas, craignant que le retrait américain ne “nuise” au combat contre les jihadistes.
“Daech n’est pas rayé de la carte, ni ses racines d’ailleurs, il faut vaincre militairement de manière définitive les dernières poches de cette organisation terroriste”, a renchéri la ministre française des Armées Florence Parly.

Donald Trump a ordonné mercredi le retrait des troupes américaines déployées en Syrie, estimant avoir vaincu l’EI, une décision qui a provoqué la stupeur et une levée de boucliers dans son propre camp.

“Que d’autres se battent”
Devant la consternation générale, il a répliqué jeudi que sa décision n’était pas une surprise – “Je fais campagne pour ça depuis des années”, a-t-il tweeté – et que les Etats-Unis n’avaient pas vocation à être “le gendarme du Moyen-Orient”. “Il est temps que d’autres se battent enfin”, a-t-il martelé, invitant “la Russie, l’Iran, la Syrie et beaucoup d’autres” – une allusion notamment aux pays arabes – à prendre le relais.

Quelque 2.000 soldats américains sont actuellement présents dans le nord de la Syrie, essentiellement des membres des forces spéciales luttant contre l’EI et entraînant les combattants locaux dans les zones reprises aux jihadistes.

La Turquie et l’Iran, autres acteurs clés en Syrie, se sont aussi concertés jeudi sur l’impact potentiel de ce retrait au cours d’une rencontre de leurs présidents Recep Tayyip Erdogan et Hassan Rohani à Ankara.
“L’intégrité territoriale de la Syrie doit être respectée par toutes les parties”, a souligné M. Rohani alors que l’autonomie croissante des Kurdes syriens inquiète la Turquie, qui accuse certaines de leurs organisations de relayer le combat du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, séparatistes kurdes de Turquie), l’ennemi numéro un d’Ankara.

L’EI a vu son “califat” auto-proclamé se réduire comme une peau de chagrin face à de multiples offensives, après une montée en puissance fulgurante en 2014. Il a été chassé le 14 décembre de son fief de Hajine, à la frontière irakienne, par une force dominée par les Kurdes et soutenue par Washington. Mais l’organisation conserve quelques réduits et reste redoutable en raison de sa capacité à frapper fort avec des attentats particulièrement meurtriers dans des pays de la région et au-delà.

La milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), en première ligne dans le combat contre l’EI, pourrait en outre s’en détourner si la Turquie déclenchait, comme elle menace de le faire depuis plusieurs jours, une nouvelle offensive contre elle. “En temps et lieu voulus, ils seront enterrés dans les fosses qu’ils creusent”, a promis jeudi le ministre turc de la Défense Hulusi Akar.

Sécurité des Kurdes
Prenant le parti des Kurdes syriens, alliés précieux contre l’EI, le ministère français des Affaires étrangères a demandé que leur “sécurité (…) soit assurée”, ainsi que la “stabilité” des zones sous leur contrôle, où de nombreux jihadistes étrangers, en particulier français, sont détenus.

Pour l’heure, les forces démocratiques syriennes (FDS), à dominante kurde, continuent le combat. “La bataille (dans la poche de) Hajine se poursuit jusque-là”, a dit leur porte-parole, Moustapha Bali, à l’AFP.
Mais, selon les FDS, le retrait américain va offrir une chance à l’EI, qui était largement passé à la clandestinité, de se reconstruire sur le terrain. “Cela aura un impact négatif sur la campagne antiterroriste”, ont-elles mis en garde dans un communiqué.

Priorité absolue, “la campagne militaire contre Daech continue”, ont insisté jeudi Paris et Londres, les principaux partenaires des Américains dans la campagne de frappes aériennes contre l’EI depuis fin 2014.
“L’annonce du président américain n’a à ce stade aucune incidence sur la continuation de la participation française à la campagne militaire contre Daech au sein de la coalition”, a noté le porte-parole des armées françaises, le colonel Patrik Steiger.

Outre des frappes aériennes, la France effectue des tirs d’artillerie à partir de l’Irak et a dépêché des forces spéciales sur le terrain, selon le Pentagone. Paris ne communique par principe jamais sur ses forces spéciales en opérations.
“Pour le moment bien sûr, nous restons en Syrie”, a souligné jeudi la ministre française des Affaires européennes Nathalie Loiseau.