L’exposition ‘Cycles of Collapsing progress’ qui se déroule du 22 septembre au 23 octobre, simultanément à la citadelle de Tripoli et à la foire internationale Rashid Karamé, est le fruit de la deuxième collaboration entre Beirut Museum of Art-Bema et Studio-cur/art. Karina el Helou, la fondatrice de la plateforme curatoriale à but non lucratif Studiocur/art nous en parle.
Quelle est l’importance de l’exposition ‘Cycles of Collapsing Progress ?’
‘Cycles of Collapsing Progress’, une exposition co-organisée par Beirut Museum of Art-BeMA et Studiocur/art, est importante pour plusieurs raisons ; premièrement parce que c’est la première fois que la foire conçue par Oscar Niemeyer à Tripoli, et qui n’a jamais été complétée, reprend vie pendant un mois entier.
De plus, le site sera en dialogue avec la citadelle, ce qui permettra de redécouvrir, grâce à l’art contemporain, notre héritage d’hier et d’aujourd’hui.
Le public découvrira également des artistes libanais ainsi que huit artistes mexicains sélectionnés en collaboration avec une curatrice qui travaille souvent au Mexique, Anissa Touati Corporation.
Des pièces de collections privées seront exposées, comme celle de Damian Ortega : ‘Harvest’ venue du Canada et une de ses œuvres emblématiques ‘Controller of the Universe’ (2007) tout comme Jorge Mendez Blake qui présentera une nouvelle œuvre dénommée ‘Utopia (The No-place is a Real Place)’. Zad Moultaka investira avec une nouvelle œuvre sonore ‘Don’t Fall’ le Dome et en prenant en compte l’écho incroyable. Un équipement sonore a d’ailleurs été spécialement conçu pour l’exposition.
Par ailleurs, les artistes Joana Hadjithomas et Khalil Joreige feront revivre le Musée de l’espace, commissioné à l’époque par Fouad Chehab et conçu par Niemeyer et qui a permis aux deux artistes de replonger dans leur projet autour de la ‘Lebanese Rocket Socie-ty’. Le dialogue suscité par les thèmes de l’exposition ne concerne pas seulement le contexte libanais mais incite aussi le site à s’ouvrir au monde. Enfin, parce qu’il est nécessaire de souligner l’importance de l’héritage culturel de la ville de Tripoli : les espaces comme la foire internationale de Rashid Karame et la citadelle de Tripoli sont non seulement des sites historiques remarquables, mais aussi des espaces culturels qui ont un potentiel incroyable. C’est d’ailleurs l’une des missions du musée à venir BeMA (Beirut Mu-seum of Art), celle de créer des liens entre les différents publics et les artistes, en passant par toutes les régions libanaises via un pro-gramme de résidences d’artistes.
Les 19 projets exposés ont lieu simultanément à la foire in-ternationale Rachid Karamé et la citadelle de Tripoli, la première faisant allusion à la modernité, alors que la deuxième à l’historicité, voire au Moyen-Âge. Parlez-nous du dialogue entre les époques.
C’est justement les parallèles existant entre ces deux espaces d’époques différentes qui permettent ce dialogue. A travers des œuvres contemporaines et conceptuelles, les espaces, qui sont tous deux d’un temps révolu, d’une utilité obsolète et dans un état simi-laire, se retrouvent au sein d’un renouveau et, d’une réflexion tournée vers les cycles d’effondrements et sur les cycles histo-riques. Cette réflexion, a été inspirée par des recherches autour d’Ibn Khaldoun et le sociologue tel que Bruno Latour, autour du progrès.
L’exposition est axée autour du thème du temps cyclique et les cycles d’effondrement. Qu’entendez-vous par cela ?
La notion de temps cyclique, étant commune dans les civilisations anciennes, nous paraît archaïque aujourd’hui. Comme le dit Mircea Eliade, intellectuel roumain, notre compréhension du temps est au-jourd’hui linéaire. En effet, nous voyons le progrès comme unique résultat du temps qui passe et par conséquent de l’histoire. Mais ce paradigme nous empêche de prendre en compte les différentes pé-riodes historiques d’effondrements de civilisations et de tirer des le-çons des aboutissements.
L’exposition ‘Cycles of Collapsing Progress’ s’efforce de reconsidérer une compréhension cyclique du temps car si, comme certains his-toriens et scientifiques le suggèrent, nous sommes à la fin d’une ère, il serait peut-être temps de repenser à notre relation au temps et au coût du progrès que nous nous évertuons à atteindre.
Pourquoi la collaboration entre le Liban et le Mexique ?
L’invitation d’artistes Mexicains à participer à l’exposition était une conséquence naturelle d’un échange de résidences entre Guadala-jara et Beyrouth. Leur présence est due à une curiosité mutuelle pour les thèmes abordés par l’exposition et pour les perspectives que les deux scènes artistiques ont sur ces sujets. La similitude des effondrements passés dans les deux pays, comme les Mayas et les Phéniciens, ont apporté beaucoup à cet échange.
11 œuvres ont été commissionnées comme installations in-situ spécialement pour Tripoli. Parlez-nous de ce projet.
La plupart des œuvres commissionnées in-situ se trouveront dans la foire et une nouvelle œuvre de Pablo Davila a été conçue et commissionnée par Anissa Touati pour la citadelle. Les recherches que j’ai faite au début du projet ont été envoyés à plusieurs ar-tistes qui, lorsque l’espace leur a été proposé, se sont inspirés par soit Tripoli et l’histoire du lieu soit l’histoire de la foire, ou égale-ment autour du thème des cycles naturels.
Les œuvres par exemple comme celle de Lamia Joreige et Marwan Rechmaoui tournent autour des promesses de la modernité alors que d’autres sont également inspirées par l’histoire de la ville comme le travail du Mexicain d’Edgardo Aragon ‘Mute’ qui filme les rappeurs de Tripoli qui vivent sans papiers d’identité. Le travail un peu plus abstrait de Roy Samaha et Stephanie Saadé fait référence à notre lien avec la nature et les cycles lunaires et solaires.
Le mélange du regard libanais et mexicain offre une nouvelle ou-verture et un nouveau regard sur une foire obsolète qui tombe malheureusement dans l’oubli. Cette exposition a plusieurs niveaux de lectures et le public curieux pourra découvrir cela aux travers des différents parcours que nous proposons.