Cette année, l’été au Liban est différent de celui des années précédentes. Non seulement parce qu’après deux années de vacance à la tête de l’État, un « président fort » est installé à Baabda, ni parce que l’aéroport international de Beyrouth connaît une affluence sans précédent, mais aussi parce que les événements sont nombreux.
Alors que généralement, les diplomates occidentaux profitent des mois d’été pour prendre des vacances, cette année, certains d’entre eux ont préféré rester au Liban. Et ceux qui sont partis ont pris des dispositions pour être rapidement informés de tous les développements. Au départ, ces diplomates se sont intéressés à l’activité du Parlement, avec l’ouverture d’une session extraordinaire destinée à adopter des lois qui traînent depuis longtemps dans les tiroirs de la Chambre. Mais il y a eu, depuis, la bataille du jurd de Ersal et celle qui devrait commencer bientôt dans le jurd de Qaa et de Ras Baalbeck, avec leur cortège de polémiques et de surenchères politiques. Il y a aussi les développements en Syrie que les diplomates occidentaux installés au Liban suivent attentivement, d’autant que la plupart de leurs équipes en poste à Damas se sont repliées vers Beyrouth.
Un diplomate européen, qui a reporté ses vacances de quelques semaines pour être au « plus près des développements », confie ainsi qu’avec ce qui se passe à la frontière libano-syrienne et à l’intérieur de la Syrie, l’Occident a un peu le sentiment de ne plus avoir de prise sur les événements. Selon ce diplomate qui a requis l’anonymat, le plan des États-Unis et de leurs alliés en Syrie est en net recul face à celui de la Russie et de l’Iran. Les États-Unis n’ont plus d’instruments pour poursuivre leur projet en Syrie et ils se voient contraints d’essayer de préserver quelques acquis à travers une entente avec les Russes. Même la Jordanie, qui était un des piliers du projet américain en Syrie, où l’armée américaine avait installé une chambre d’opérations militaires et des camps d’entraînement de l’opposition syrienne, a pris ses distances, allant même jusqu’à faciliter le contrôle de l’armée syrienne de la frontière commune au niveau de la province de Soueida. De même, la dernière portion de la frontière irako-syrienne, dans la région de Tanaf, contrôlée par les Américains, est désormais encerclée, alors que l’armée syrienne s’apprête à mener la bataille stratégique de Deir ez-Zor en bonne position, depuis la prise de la ville de Sakhné, dernier verrou important avant ce fief de Daech.
Le diplomate européen précise aussi que les efforts occidentaux se concentrent désormais sur le dossier de la reconstruction de la Syrie pour remplacer « les leviers militaires » perdus. Selon lui, les Occidentaux misent sur le Liban pour reprendre l’initiative en Syrie, mais le problème est que ce pays est trop occupé par ses conflits internes, aiguisés par l’approche de l’ouverture des campagnes électorales, pour préparer des projets intéressants dans ce domaine. Les tiraillements et les polémiques internes ralentissent la préparation du pays à servir de base arrière de la reconstruction de la Syrie. C’est notamment le cas du port de Tripoli destiné à être une plaque tournante principale en direction de la Syrie, qui attend toujours les projets de développement.
Le diplomate occidental ne cache pas son étonnement face à la capacité de la classe politique libanaise à transformer tout dossier en problème insoluble.
C’est le cas notamment de l’adoption de la loi sur la nouvelle grille des salaires et celle sur son financement qui font de nouveau l’objet d’un débat, alors qu’elles ont été votées par le Parlement… Les discussions sur la bataille du jurd de Qaa et de Ras Baalbeck sont aussi, pour lui, une source de stupéfaction, sachant que l’armée libanaise devrait être la seule à décider des détails du plan militaire et de la tactique nécessaire pour vaincre l’ennemi. Or, aujourd’hui, toutes les parties, même les médias, expriment leur opinion, avancent des théories et des suggestions militaires, alors qu’en général, de tels sujets ne sont pas évoqués dans la presse, surtout avant le déclenchement de la bataille. Le diplomate européen se pose ainsi des questions sur l’utilité de provoquer de nouvelles polémiques sur tous les dossiers, qu’ils soient économiques, sociaux ou politiques et militaires, à la veille d’une offensive dans le jurd, qui ne peut qu’être difficile face à un ennemi comme Daech qui ne respecte aucune règle et utilise des moyens barbares, avec des équipements sophistiqués.
Tous ces débats, souvent violents, ne peuvent que fragiliser la position de l’armée et l’obliger à tenir compte des considérations politiques dans chaque tactique qu’elle voudra adopter. Ce n’est donc pas le climat idéal pour mener une bataille aussi importante que celle qui s’annonce. Le diplomate occidental se demande même si, dans ce contexte complexe, le gouvernement peut tenir et préserver sa cohésion, avant de répondre lui-même : en principe, aucune partie n’a intérêt à faire tomber ce gouvernement. Quel est donc l’intérêt de toutes ces polémiques ? Une question qui attend la réponse des parties politiques..