Les groupes terroristes Al Nosra et Daech sont aujourd’hui le fer de lance du terrorisme takfiriste. Ils sont également les héritiers d’un courant armé né durant la guerre froide et qui continue à notre époque de semer terreur et désolation aux quatre coins du globe.
Quels raisons ont-ils conduits à la naissance des mouvements takfiristes? Et pourquoi ont-ils prospéré ? Éléments de réponse.
«Ce qui semble apparaître est potentiellement une conflagration globale qui requière une constante diligence afin d’être maîtrisée. […] Toutefois il serait fallacieux de penser qu’une guerre prolongée puisse affaiblir un ennemi occupé. Au contraire cela n’a pour effet que de le renforcer, celui-ci s’adaptant aux difficultés et agissant en conséquence.»
Cette phrase, issue d’un rapport de la CIA écrit en 2005 par Michael Scheuer, ancien officier de renseignement de l’agence, fait référence au terrorisme takfiriste. Elle est particulièrement pertinente car elle met en relief la très grande difficulté qui est celle des pays engagés dans la lutte contre le terrorisme djihadiste globalisé, à savoir le terrorisme post-11 septembre, cette forme de terrorisme s’appuyant principalement sur la doctrine wahhabite pour guider son action politique.
Si les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis constituent une date charnière dans la mesure où ils marquent la «consécration» des groupes terroristes islamistes, et notamment Al-Qaïda, l’émergence du terrorisme islamo-takfiriste remonte toutefois aux années 1970-1980.
Il s’agit alors d’une époque marquée par plusieurs événements majeurs qui ont profondément transformé le visage du monde arabo-musulman: l’effritement du système régional arabe couplé à la «mort» de l’idéologie panarabe (mort de Nasser en 1970), ainsi que la première guerre d’Afghanistan (1979-1989), opposant l’Union Soviétique aux «Moudjahidines» d’Al Qaida, ces derniers ayant été financés par l’État saoudien et armés par la CIA.
De fait, les États-Unis et l’Arabie Saoudite endossent une forte responsabilité dans la propagation de la vague d’intégrisme sunnite, et de l’idéologie wahhabite.
Or, les groupes radicaux soutenus et couvés par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite finissent par se retourner contre leurs maîtres dès les années 1990. Al-Qaïda illustre tout à fait ce processus : Ben Laden, après avoir combattu avec les Moudjahidines afghans, se retourne contre son «maître», l’Arabie Saoudite, son pays d’origine, ainsi que contre son «protecteur», les Etats-Unis, pays l’ayant formé et soutenu stratégiquement, militairement et financièrement.
Dès lors, il se rapproche d’Ayman al-Zawahiri, un médecin qui a fui la répression de son pays d’origine, l’Egypte, du fait de son appartenance au mouvement islamiste des Frères Musulmans, et entreprend avec lui l’internationalisation de la «nuisance» du groupe Al-Qaïda.
Le groupe terroriste élabore alors une double stratégie : attaquer le «Grand Satan américain» et ses alliés, et déclarer un Djihad (littéralement «la lutte») contre les «infidèles» (autrement dit les non-takfiristes). Ceci se manifeste clairement dans le mode opératoire d’Al-Qaïda, qui consiste en la perpétration d’attentats de grande ampleur contre les États occidentaux, dont le 11 septembre 2001 est emblématique, ainsi que dans la multiplication d’attentats sanglants contre les contre les minorités religieuses et ethniques, aussi bien en Irak, qu’en Afghanistan ou au Pakistan.
Loin d’avoir faiblit, faute d’une lutte internationale efficace contre le terrorisme, on constate au contraire, depuis les années 2000, la multiplication des fronts qu’annonce la dissémination de filières d’Al-Qaïda et de groupes similaires dans le monde arabe, en Asie, en Afrique et en Europe.
Car si les filiales d’Al-Qaïda, que sont aujourd’hui Al Nosra, Daech ou Ahrar Cham, sont en voie d’éradication au pays du Cèdre, en Syrie et en Irak, il est néanmoins prévisible que des dizaines de groupuscules terroristes, toujours plus fanatisés et criminels, naîtront des cendres d’Al Nosra, de Daech et d’Ahrar Cham. À l’instar de ces derniers et d’Al Qaida, avant eux, les nouvelles nébuleuses terroristes pourront également compter sur les soutiens financier, médiatique et logistique de la part des pays du Golfes et des puissances occidentales.