Michel Aoun, président-gestionnaire, arbitre engagé

Le chef de l’État Michel Aoun est impatient et veut clairement mettre les bouchées doubles après l’annonce de la naissance du gouvernement. Il veut aussi mettre la main à la pâte en donnant l’impulsion et en s’impliquant personnellement dans le suivi de la gestion de l’État.

Sitôt après l’annonce du nouvel exécutif, Michel Aoun s’est attaqué aux gros dossiers dès hier matin, en recevant César Abi Khalil, qui dirige l’un des ministères les plus stratégiques pour l’heure, celui de l’Énergie et de l’Eau, deux ressources majeures pour le pays. Les deux hommes ont évoqué les projets prévus au sein de ce ministère et les moyens de poursuivre ceux qui sont déjà entamés.
S’il va sans dire à quel point le forage de pétrole et de gaz représente un intérêt vital pour une économie exsangue, le secteur de l’eau – qui figure, aux côtés de celui de l’électricité, en tête des priorités du chantier que compte lancer le gouvernement – n’est pas d’une moindre importance, du moins aux yeux des citoyens désabusés. Ployant sous le poids de deux factures qui ne reflètent aucunement leur équivalent en courant électrique et en eau, les Libanais sont si dégoûtés aujourd’hui qu’ils ne sont plus disposés à pardonner une telle lacune. Un état d’âme dont les politiques sont désormais conscients, d’où l’engagement ferme du président de la République dans son discours d’investiture à œuvrer en vue pour réformer l’administration et améliorer les services de base. Une promesse réitérée dimanche par le Premier ministre, Saad Hariri, dans son discours prononcé sur le perron de Baabda.
Depuis son élection, le président Aoun a lancé une nouvelle dynamique à partir du palais présidentiel, multipliant les rencontres et les échanges. Pressé par le temps et hanté par la nécessité d’utiliser chaque minute qui passe à bon escient, il apparaît de plus en plus clairement que le président ne compte vraisemblablement pas se contenter du rôle restrictif que lui confie la Constitution dans l’acception générale de l’après-Taëf, ambitionnant de dilater, autant que possible, ses prérogatives pour se transformer en une sorte de « superviseur ». Il s’agit désormais de mettre la main à l’ouvrage pour s’assurer de la bonne exécution de son discours d’investiture qui constituera d’ailleurs la source d’inspiration principale, à moins d’être repris à la lettre, pour la rédaction de la déclaration ministérielle. S’appuyant sur un bloc parlementaire plus que confortable, une équipe ministérielle largement en sa faveur (huit ministres qu’il partage avec le Courant patriotique libre, sans compter les quatre ministres FL, leurs principaux alliés au sein de ce gouvernement), mais aussi sur un courant populaire qui a démontré son ampleur au lendemain de son élection, le nouveau chef de l’État conçoit désormais sa fonction au sens large, en s’appuyant sur une lecture extensive des pouvoirs que lui donne la Constitution.

Sa nostalgie pour une présidence toute-puissante, comme le prévoyait jadis la Constitution de la Première République, n’est plus à démontrer. Aujourd’hui, il ne se contente pas que des moyens du bord, mais compte sur une toute autre lecture de la Constitution issue de Taëf qui lui permettra de repousser aussi loin que possible les limites imposées jusqu’à présent au président depuis la fin de la guerre, en se posant non plus en arbitre seulement, mais en arbitre « engagé ». Preuve en est, l’équipe d’experts chevronnés dont il s’est entouré (il est ainsi question de l’économiste, historien et écrivain Georges Corm, ancien ministre des Finances, et d’un autre économiste, Damien Kattar, qui a occupé le même poste, à ses côtés).
Michel Aoun peut également compter sur un « gouvernement de l’ombre » – plus une sorte de « task force » politique, en fait –, avec presque autant de ministres de confiance désignés pour suivre de près tous les dossiers et les prestations de l’exécutif dans leurs moindres détails.

La volonté du nouveau chef de l’État de mener à bon port son plan de réformes que le Premier ministre semble avoir avalisé, théoriquement du moins, s’est également traduite par la nomination d’un ministre d’État pour la Planification, une fonction qui n’existait pratiquement plus depuis la fin de l’ère chéhabiste.
À l’époque, il s’agissait d’un superministère qui prévoyait et planifiait tous les projets de développement indispensables pour le pays, notamment la création d’écoles, d’hôpitaux, la construction de réseaux routiers, le renforcement du secteur des services publics, etc. Après Taëf, ce département a été supplanté par la création d’organismes indépendants et de conseils parallèles, justifiée en partie par le besoin d’accélérer la reconstruction, répartis entre les communautés, tels que le Conseil du Sud et le CDR (Conseil du développement et de la reconstruction) – des « excroissances » qui jouissent d’une large indépendance et échappent partiellement au contrôle de l’État, plus particulièrement aux organismes de contrôle.

C’est donc un retour au pouvoir central de l’État que souhaite opérer le président avec l’aide du gouvernement, un objectif qui révèle clairement sa volonté et vraisemblablement celle du Premier ministre, à en croire ses propos, de s’attaquer à la corruption. Bref, autant d’ambitions que certains estiment « démesurées » vu le laps de temps dont dispose ce gouvernement – six petits mois –, mais aussi la pesanteur générale et le nombre de dossiers à gérer. À ne pas oublier non plus la promesse d’organiser les élections législatives à la date prévue après l’adoption tout aussi problématique d’une loi électorale. Un menu chargé que seul un gouvernement harmonieux et disposé à faire preuve d’un minimum de cohésion pourra aspirer à mettre à exécution. L’expérience passée n’est pas porteuse d’espoir en ce sens, notamment en présence de gouvernements appelés, à tort, d’« entente nationale ». C’est peut-être bien la raison pour laquelle le président compte sur sa propre équipe pour faire bouger les choses. L’histoire nous le dira.