Autrefois le Liban était nommé la Suisse du Moyen-Orient pour différentes raisons, dont son système bancaire ainsi que l’apparence d’une liberté en avance sur les autres pays du Moyen-Orient. Mais que reste-t-il actuellement de la Suisse du Moyen-Orient, ravagée par tant de guerres, de conflits politiques et confessionnels, par le surgissement d’un radicalisme religieux, par une corruption sans limite, par un système de clientélisme, par un féodalisme archaïque, réduisant le citoyen à un simple objet de consommation ? Hélas, la Suisse du Moyen-Orient n’est actuellement qu’une République bananière, un tas d’ordures…
En 17 juin 2015, le contrat de la société Soukline prenant en charge le ramassage des ordures ménagères dans la capitale Beyrouth et la région du Mont Liban a pris fin. En parallèle, la population de la ville de Naamé[1] a profité de ce fait pour bloquer l’accès à la plus grande décharge au Liban située dans leur ville. Depuis, les ordures ménagères jonchent les rues de la capitale libanaise, sans solutions pertinentes de la part des autorités compétentes.
Un petit aperçu historique semble nécessaire afin de mieux comprendre pourquoi une telle crise est survenue au Liban. A la sortie de la guerre, en 1990, une société privée, appartenant à un proche du premier ministre de l’époque M. Rafic Hariri, a été créée sous le nom de Soukline. Elle s’est accaparée les tâches des municipalités, leur enlevant toute intervention dans la gestion des ordures ménagères. Une modification de la loi libanaise en faveur de l’ami de M. Hariri était nécessaire, ce que le parlement de l’époque s’est employé à accomplir. Par la suite, et pour des intérêts privés, les gouvernements libanais successifs n’ont jamais remis en question les multitudes de lois libanaises faites ou adaptées pour servir des intérêts privés, quand ce n’est pas pour des convenances personnelles. De ce fait, la crise des déchets au Liban était prévisible. Puisqu’en cas de déficit quelconque de la part du secteur privé, l’Etat n’a aucun plan B, il est entièrement dépendant de ce dernier. Cependant, depuis des décennies les intérêts privés au Liban ont pris le dessus sur ceux de l’Etat et du bien commun.
Une crise d’une telle ampleur, demeurant depuis un an sans solution pertinente, mettant en danger les libanais sur plusieurs plans, touchant directement à leur santé, détruisant l’aspect environnemental ainsi que la nappe phréatique, pose la question de la légitimité du gouvernement actuel de Tamam Sallam. Nombreux sont les libanais qui peinent à voir l’action du gouvernement et ceci dans plusieurs dossiers brûlants du moment. Toutefois, la corruption est telle au Liban que des hommes politiques de tous bords et de tous échelons sont impliqués différemment dans plusieurs dossiers dont celui des déchets. Tout cela sur le compte du bien commun et du citoyen qui demeure dans la majorité du temps passif, voir consentant, cherchant d’une manière servile les excuses pour son leader politique. Toutefois, face à une crise de cette ampleur, quelles sont les excuses que les libanais pourraient trouver pour justifier l’inaction, le manque de visibilité et la recherche d’une solution fiable de la part de leurs dirigeants ?
Il existe deux catégories de personnes qui bloquent une éventuelle solution dans le dossier des déchets. Il y a ceux qui ont des intérêts et des actions dans la société Soukline, et ceux qui marchandent sur la tête du peuple libanais pour empocher de juteuses commissions. C’est dans ce fait que demeurent les obstacles d’une probable solution, seulement dans l’aspect technique. Il convient de préciser que le Liban pratique encore d’anciennes méthodes comme l’enfouissement pour se débarrasser des ordures ménagères, alors que plusieurs pays au monde exploitent les déchets telle une ressource économique et financière. Néanmoins, le coût moyen mondial pour traiter une tonne de déchets est de 120 dollars, tandis qu’au Liban il est de 150 dollars. L’actuel gouvernement libanais perd son autorité face à la crise des déchets entassés depuis un an dans les rues de la capitale. Après de rudes négociations, un plan a été décidé par le gouvernement, désignant plusieurs sites d’enfouissements. Mais plusieurs régions au Liban refusent d’accueillir sur leurs territoires les décharges désignées.
La dégénérescence libanaise transforme la crise des déchets au Liban en conflit confessionnel. Une région comme Akkar, à majorité sunnite, refuse que les déchets de Beyrouth, notamment ceux de la banlieue sud de la capitale à majorité chiite où le Hezbollah est implanté, soient traités sur leur territoire. Plusieurs responsables politiques ainsi que leurs suppléants et leurs militants répandent l’idée d’avoir des décharges par confessions. Néanmoins, ce raisonnement archaïque, vide de sens, fait reculer le gouvernement libanais. Comment les libanais peuvent encore parler de liberté, d’ouverture d’esprit et de Démocratie si de nos jours il faut même trier les ordures ménagères par confession ? C’est extrêmement désolant qu’un pays comme le Liban passe du stade équivalent à la Suisse du Moyen-Orient au niveau d’une république gérée par des perspectives instinctivement tribales, qui ne sont même pas digne d’un pays en voie de développement.
La politique que mène le premier ministre Salam met en grand danger le gouvernement en tant que dernière institution de l’exécutif qui fonctionne encore au Liban. Sachant que la présidence de la République est vacante et le parlement ne se réunit plus. L’ironie demeure également dans les conditions que le gouvernement Salam exige de la société qui remportera un éventuel contrat, qui est de trouver les sites nécessaires pour mettre en place les décharges. Le gouvernement continue à se laver les mains dans ce dossier, prêchant pour la décentralisation, léguant en quelque sorte le dossier des déchets aux communes qui ne sont pas préparées pour gérer une crise d’une telle ampleur, puisque tout simplement pendant la guerre libanaise, les milices géraient le traitement des déchets ménagers comme une source économique, chacune sur leur secteur. A la sortie de la guerre, et avec la création de Soukline, les communes libanaises n’ont jamais eu ni l’opportunité ni les moyens nécessaires pour gérer ce dossier.
Enfin, la question qui mérite d’être posée est la suivante : Y a-t-il une volonté quelconque d’aggraver le cas du Liban en utilisant le dossier des déchets comme une stratégie parmi d’autres ? Ou uniquement le pouvoir et l’argent ont-ils rendu complètement aveugles les politiciens libanais ? Il est probable que les deux pistes soient plausibles, mais en attendant, une catastrophe a lieu en ce moment au Liban et ses conséquences sont pires qu’une frappe à l’arme chimique.