La mort programmée des concessions aura bien lieu. Depuis plusieurs semaines, le ministre de l’Énergie et de l’Eau, César Abi Khalil, répète que les sociétés privées à qui l’État a délégué dans les années 1920 la gestion de la production et de la distribution d’électricité dans plusieurs régions du pays ne verront pas leur contrat prolongé après leur terme.
C’est ce qui s’est déjà produit avec la concession d’électricité de Aley, qui a été absorbée par Électricité du Liban (EDL) en février 2014. C’est aussi ce qui devrait arriver aux trois autres concessions encore existantes : Bhamdoun (EDB), dont dépendent 3 000 foyers et qui s’achève dans un an ; Jbeil (EDJ), qui gère 30 000 abonnements et qui arrive à échéance en 2020 ; enfin, Zahlé (EDZ) et ses 50 000 abonnés qui expire fin 2018. Pour rappel, les prérogatives de ces concessions avaient déjà été limitées à la maintenance du réseau de distribution et la collecte des factures suite à la création d’Électricité du Liban (EDL), établissement public à qui le législateur a confié en 1964 le monopole de la production.
Pas de dérogation
Mais EDZ est un cas particulier : depuis début 2015, la concession a mis en service des unités de production qui déploient plus de 50 mégawatts (MW) et distribue l’électricité qu’elle produit à ses abonnés pendant les heures de rationnement. Bien qu’illégale, cette initiative permet à la concession de fournir du courant 24 heures sur 24 de la même source et à un tarif unique. En l’absence de base légale, la direction d’EDZ se défend en se prévalant notamment de l’incapacité d’EDL à produire suffisamment de courant pour satisfaire la demande de ses abonnés. Selon la direction de l’établissement public, EDL peut aujourd’hui produire jusqu’à 2 200 MW pour une demande au niveau national qui oscille entre 2 700 et plus de 3 300 MW en fonction des saisons. Pendant les heures de coupures, les abonnés d’EDL font appel à des propriétaires de générateurs privés, des exploitants qui ne sont pas reconnus par la loi mais dont les tarifs sont encadrés par les autorités. À Zahlé, EDZ a fini par remplacer ces exploitants en centralisant la production de courant pendant les heures de coupures et en n’émettant qu’une seule facture à ses abonnées.
De son côté, le ministère de l’Énergie refuse de considérer la possibilité d’accorder une dérogation à EDZ, malgré l’incapacité d’EDL à assurer du courant 24h/24 aux usagers d’EDZ. « Le ministère veut se conformer aux préconisations du plan Bassil pour l’électricité approuvé par le Conseil des ministres en juin 2010, et qui prévoit plusieurs alternatives pour remplacer les concessions », rappelle Nada Boustani, conseillère du ministre de l’Énergie. Pour rappel, ce plan prévoit soit de transférer les actifs de la concession à EDL, soit transformer ces dernières en DSP (Distribution Service Provider, prestataire chargé de gérer la distribution du courant), ou enfin les convertir en IPP (Independant Power Provider, fournisseur privé d’électricité qui peut bénéficier d’un mécanisme mis en place par la loi n° 288 n° de 2014). « Le ministère ne nous a pas contactés pour envisager l’une de ces solutions. De fait, EDZ sera démantelé début 2019 et les générateurs seront rendus à la société qui nous les loue. Ce sera la fin de l’électricité 24h/24 à Zahlé et ses habitants seront obligés d’avoir à nouveau recours aux générateurs privés », avance le directeur général de la concession, Assaad Nakad. « Des échanges ont eu lieu entre le ministère et EDZ, sans qu’une issue n’ait été trouvée », réplique Mme Boustani. En cas de dissolution de la concession et la gestion du réseau, la collecte des factures sera soit directement assurée par EDL, soit par le DSP en charge de la Békaa (National Electricity Utility Company, une filiale du groupe Debbas).
Les navires-centrales comme palliatif ?
S’il admet de son côté ne pas encore pouvoir faire en sorte que cette transition soit indolore pour les habitants de Zahlé, le ministère de l’Énergie refuse de céder devant le fait accompli. « EDZ s’est arrogé illégalement le droit de produire de l’électricité. Sa situation est assimilable à celle des propriétaires de générateurs privés qui sont illégaux », rappelle Mme Boustani. « Il reste encore du temps d’ici à fin 2018 », rassure-elle cependant. « Je pense que le ministère compte sur les navires-centrales qu’il prévoit de louer dans le cadre de son plan de sauvetage pour l’électricité pour sortir de l’impasse à Zahlé », estime pour sa part M. Nakad.
De fait, le premier axe de ce plan, adopté le 28 mars par le Conseil des ministres, prévoit en effet la location de plusieurs navires-centrales supplémentaires pour déployer entre 800 et 1 000 MW dès cette année. Mercredi dernier, le Conseil des ministres a décidé de transférer à la Direction des adjudications la supervision de l’appel d’offres pour ce marché public lancé courant avril.
Le ministère justifie enfin sa position vis-à-vis des concessions en rappelant que ces dernières coûtent cher à EDL qui leur fournit de l’électricité à un tarif subventionné par l’État. « Selon la loi, EDL facture 70 livres (0,05 dollar) le kilowattheure (kWh) aux concessions – 50 livres (0,03 dollar) pour Zahlé depuis un décret de 2004. Ces dernières sont tenues de le revendre à entre 130 et 135 livres (0,09 dollar) à leurs abonnés », explique une source à EDL. « En plus de faire perdre de l’argent à EDL, ce système permet à EDZ d’amortir les coûts d’exploitation de ses moteurs grâce aux marges qu’il réalise en revendant l’électricité achetée à EDL et de proposer des prix très concurrentiels pendant les heures de rationnement », expose Mme Boustani. Un avantage non réfuté par M. Nakad, qui met en avant le fait que son tarif est « 30 à 40 % moins élevé que la somme des deux factures d’électricité que payent les Libanais qui ont un abonnement à un générateur privé dans la Békaa…