Tandis que les combats font rage à Alep, des citoyens syriens ont fait le choix, après leur combat contre le terrorisme, de se retourner contre leur pays et leur armée dans l’objectif d’obtenir un Etat indépendant.
Des citoyens syriens d’obédience kurde acceptent de se mettre au service de l’Occident dans la perspective de prolonger la guerre en Syrie. Les Assayech, branche des Unités de la protection du Peuple (PYG), ont attaqué sans aucun préavis l’armée syrienne, perpétuant de multiples exactions envers les civils. La situation a poussé l’armée syrienne à intervenir, tandis que les médias occidentaux ont ressorti leur refrain fétiche afin d’accuser encore une fois le pouvoir syrien d’assassiner les civils.
Néanmoins cette attaque des Kurdes syriens contre leur armée a le mérite d’éclaircir l’intention des Kurdes en Syrie. L’opération kurde permet aussi de comprendre pourquoi les unités de Protection du Peuple (PYG) se sont acharnées à combattre Daech dans un espace géographique bien déterminé. Il convient de préciser qu’en 2015 les combattants du PYD sont partis vers Tal Al-Abyad et Manbij dans le but de couper la route à Daech. Cette dernière action a pour but la tentative de s’accaparer les puits de pétrole que l’Etat islamique contrôle, afin de rendre viable leur projet d’Etat indépendant, à l’instar du Kurdistan irakien.
Toutefois, il ne faut pas oublier que les raffineries syriennes se situent dans les régions de Banias et Homs, qui sont contrôlées par l’Etat syrien. Ce qui signifierait que les Kurdes syriens devraient -en cas de mainmise sur les puits de pétroles- soit se partager la recette avec l’Etat syrien, soit se brancher sur l’oléoduc des Kurdes d’Irak qui se dirige vers la Turquie. Dans les deux cas, les idées sont irréalisables. L’Etat syrien ne fera aucune concession sur la souveraineté et l’unité de son territoire. Quant à la Turquie, elle ne permettra pas l’existence d’un Etat kurde sur ses frontières, sachant qu’elle voit en le PYG un prolongement du PKK. Quant aux Kurdes irakiens, ils ne soutiennent pas leurs coreligionnaires syriens.
L’erreur des leaders kurdes est fatale, leurs lectures des évolutions de la situation syrienne sont erronées, leurs appuis par les Américains vacillent. Le péché mortel des Kurdes de Syrie réside en partie dans le manquement à la confiance que l’Etat syrien leur a accordé. Aujourd’hui, ils apparaissent aux yeux de bon nombre de Syriens comme des traîtres. Une majeure partie de la société syrienne perçoit les agissements de leurs concitoyens kurdes comme un coup de poignard dans le dos, au moment où la priorité est de combattre le terrorisme, de gagner la bataille stratégique d’Alep et de persister dans les réconciliations internes. Les Kurdes syriens choisissent d’ouvrir un front interne.
Rida Albasha[1] résume bien la situation en précisant que :
«Les manœuvres des Kurdes de Syrie sont perçues comme un plan B américain consistant à démembrer la Syrie. Cela signifie également permettre aux Kurdes de mettre la main sur des ressources importantes d’eau coulant du Tigre, de l’Euphrate et le Khabour ainsi que sur des gisements de pétrole et de gaz conséquents qui se trouvent pour la plupart à Hassaké, à Raqa et Kamishli et pour certains contrôlés actuellement par Daech.»
Néanmoins, ce plan B est en suspens.
A l’avenir, les Kurdes syriens n’auront qu’un seul choix celui de revenir sous la coupe de l’Etat central. Leur rêve d’un Etat indépendant à l’irakienne va s’atténuer rapidement, dans la mesure où les Etats-Unis ne peuvent plus leur garantir un avenir fiable dans la région. Actuellement, ce qu’il se passe à Jarablus constitue un bon exemple, puisque les Américains ont couvert l’intervention militaire turque en territoire syrien afin d’écraser les Kurdes. Les Etats-Unis ont déjà sacrifié leurs amis kurdes pour apaiser leurs relations avec la Turquie suite au coup d’Etat raté. L’amateurisme des Kurdes syriens et leur obstination ont réveillé contre eux plusieurs acteurs dans la région, dont la Turquie qui voit en eux une continuité du PKK turc.
Nous pouvons nous interroger sur le manque de visibilité stratégique des Kurdes de Syrie, ou le piège qui leur a été tendu. Nul besoin d’être spécialiste des questions stratégiques pour savoir que la réaction de la Turquie était prévisible. Il suffisait d’observer comment la diplomatie turque a usé de tous ses stratagèmes pour empêcher la participation des Kurdes syriens aux négociations de Genève, alors que la délégation diplomatique syrienne inclut toujours des représentants kurdes.
À l’heure, le projet d’un Kurdistan syrien est en suspens et risque de le rester bien longtemps. En définitive, le court épisode des Kurdes en Syrie pourrait favoriser un rapprochement entre Turcs et Syriens, rapprochement dont les Kurdes risqueraient d’être exclus.
Cependant, l’occident a toujours exploité la cause kurde, sans avoir aucun remords de l’abandonner quand les intérêts l’exigent. L’histoire contemporaine montre comment les Anglais ont utilisé les Kurdes contre les Ottomans.
Finalement, si les présidents Erdogan et Assad se rencontrent, comme le montrent les rumeurs médiatiques, cela peut signifier que malgré tous les dossiers à traiter, la rencontre des deux hommes pourrait marquer la fin pure et simple du rêve des Kurdes syriens d’avoir un Etat indépendant.
Par Antoine Charpentier | 12 septembre 2016
Antoine Charpentier, né au Liban et installé en France depuis plusieurs années, détenant un Master d’Histoire Contemporaine, de l’université de Besançon, terminant actuellement un Master de science des religions à l’université de Strasbourg. Analyste et politique spécialisé des questions du Moyen-Orient.
[1] Rida Albasha, reporters de guerre pour la chaîne Al-Mayadeen, la citation constitue un post sur la page Facebook du journaliste, utilisé avec son autorisation.