Le compromis interne qui a abouti au redémarrage de l’action gouvernementale ne pouvait pas mieux tomber pour le Liban. Il est arrivé à point nommé pour permettre à ce pays d’accueillir avec plus ou moins de sérénité la dernière flamme incendiaire lancée par le président américain au sujet du transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv vers Jérusalem, reconnue désormais officiellement capitale de l’État d’Israël.
C’est donc avec un front uni et apaisé que le Liban fait face à cette décision. Le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, se rendra donc au Caire pour la réunion extraordinaire de la Ligue arabe consacrée à ce dossier, fort de l’unité interne et avec la conviction que sa position sera celle de tout le Liban. C’est aussi avec la même certitude que le président de la République a déclaré à son homologue palestinien que le Liban tout entier, gouvernement et peuple, se tient aux côtés des Palestiniens pour faire face à l’appropriation par Israël de Jérusalem.
Mais le fait que le Liban soit plus ou moins immunisé contre l’impact de la décision du président américain Donald Trump grâce à son unité interne ne rend pas la situation régionale moins complexe. En réalité, selon un diplomate arabe en poste à Beyrouth, cette décision met en difficulté les « Arabes modérés », face à ceux qui n’ont jamais caché leur scepticisme au sujet de la réelle volonté américaine d’aboutir à une solution équitable au conflit israélo-palestinien.
Toujours selon le diplomate précité, la première victime de la décision du président américain est ainsi l’Autorité palestinienne représentée par Mahmoud Abbas, qui vient de se réconcilier avec le Hamas sous l’égide de l’Égypte. L’idée directrice de cette réconciliation est de permettre à l’Autorité palestinienne d’attirer le Hamas vers ses positions. Mais avec la décision de Donald Trump au sujet de Jérusalem, c’est le contraire qui risque de se passer, sachant que les Palestiniens se retrouvent aujourd’hui privés de leurs droits sur au moins la moitié de la ville et n’ayant plus d’autre alternative que celle de revenir à l’option de la résistance, avec les parrainages qu’elle implique.
La seconde victime de cette décision surprenante est donc aussi le processus de paix dans son ensemble que le président américain se promettait de relancer dans les plus brefs délais pour trouver, selon ses propres termes, une solution définitive à ce conflit qui dure depuis des décennies. M. Trump et ceux qui le conseillent croyaient ainsi que la situation actuelle de déchirement dans laquelle se trouve le monde arabe était ainsi propice à une solution qui serait totalement en faveur des Israéliens, tant sur le point de la création d’un État palestinien démembré, Gaza d’un côté et la Cisjordanie de l’autre, sans lien géographique entre ces deux régions, que sur celui du maintien des colonies israéliennes et du refus du retour des réfugiés palestiniens en Palestine. La pilule est déjà en elle-même trop grosse pour être avalée, et malgré cela, Donald Trump y a ajouté sa décision de déplacer l’ambassade de son pays vers Jérusalem. Ce qui a poussé tous les dirigeants arabes, même ceux qui ne cachent pas l’admiration que leur inspire le président américain, à lui conseiller la prudence.
Finalement, sa décision annoncée, Donald Trump n’a trouvé pour l’applaudir que les Israéliens et bien sûr son assise populaire aux États-Unis. Le reste du monde a critiqué la décision et, au mieux, a gardé un silence gêné. Les plus embarrassés sont notamment les dirigeants saoudiens qui appuyaient discrètement le plan « de paix » américain, mais qui ne peuvent pas aujourd’hui cautionner ouvertement la décision de Donald Trump au sujet de Jérusalem. Ces dirigeants se posent depuis des mois comme les défenseurs de l’arabité face à la menace iranienne, ils ne peuvent donc pas accepter ouvertement une renonciation arabe à Jérusalem, au moins dans sa partie est.
À ce sujet, la réunion de la Ligue arabe au niveau des ministres des Affaires étrangères prévue samedi devrait être importante, dans la mesure où elle sera un test pour les nouvelles tendances arabes. Soit ceux-ci décideront d’oublier leurs divergences pour s’unir autour de Jérusalem, soit ils donneront la priorité à leurs conflits internes et aucun d’entre eux ne pourra plus se poser en défenseur des Arabes, face à une menace externe, celle-ci étant désormais à l’intérieur du monde arabe. De plus, la décision de Donald Trump renforce la position de ceux qui prônent la résistance contre Israël, avec l’appui de l’Iran, puisque la solution américaine proposée est inacceptable aux yeux des Arabes. Selon le diplomate arabe précité, M. Trump et ses alliés arabes misent sur une lassitude générale et sur le fait que les communiqués violents resteront lettre morte. Ils sont ainsi convaincus qu’une fois la vague de colère et de révolte apaisée, la solution passera doucement, parce qu’au fond nul ne veut se battre.
Pourtant, les mouvements de protestation en Cisjordanie montrent que la réaction populaire palestinienne est un peu plus profonde que prévu. Ira-t-elle jusqu’à lancer une nouvelle intifada pour pousser Donald Trump à modifier sa position ? Nul ne peut encore l’affirmer. Mais ce qui est sûr, selon le diplomate arabe en poste à Beyrouth, c’est que Trump a pris cette décision pour plaire au lobby pro-israélien, dans le but d’obtenir son aide politique et médiatique pour faire face à ses problèmes internes, et à l’étau qui se resserre autour de lui et de son conseiller et gendre Jared Kushner. Pour lui, Jérusalem n’est qu’un détail…