Le Liban craint les retombées de la crise dans le Golfe

Les milieux politiques et diplomatiques libanais sont encore sous le choc de la crise qui oppose l’Arabie et ses alliés au Qatar. Avec leur propension naturelle au compromis, les groupes politiques libanais, surtout ceux qui se considèrent proches des pays du Golfe dans leur diversité, espèrent encore une solution de dernière minute à ce conflit grâce à des médiations fraternelles. Les différentes parties politiques craignent que le Liban ne soit obligé de prendre ouvertement position dans ce conflit.

Pour l’instant, les dirigeants saoudiens semblent avoir d’autres priorités que celle d’acculer le Liban à choisir son camp, mais il est clair que rien n’indique une possibilité de règlement rapide du conflit. Au contraire, l’émir du Koweït, qui a entamé une médiation, est pratiquement revenu bredouille, se contentant de transmettre au Qatar les conditions saoudiennes pour une normalisation des relations.

Une personnalité politique libanaise en relation avec les dirigeants saoudiens rapporte à ce sujet que ces derniers en ont effectivement assez des manœuvres du Qatar et de son autonomie en matière diplomatique et politique. Selon cette personnalité, le conflit est ancien entre « l’émirat qui a des prétentions de grande puissance » (selon l’expression saoudienne) et Riyad qui considère avoir obtenu du président américain Donald Trump son feu vert pour diriger le monde arabo-musulman.

Pour rappel, une crise presque similaire avait éclaté en 2014, et, à cette époque, le Qatar avait cédé aux pressions de Riyad en expulsant vers la Turquie les grandes figures du Hamas qu’il abritait sur son territoire. Elles y sont restées quelques mois avant de revenir à Doha. Les dirigeants saoudiens, qui craignaient alors la politique du président américain de l’époque Barack Obama et ses négociations avec l’Iran, avaient avalé la couleuvre, se concentrant sur d’autres dossiers comme la Syrie et le Yémen. Ils avaient d’ailleurs réussi à entraîner le Qatar dans l’offensive menée au Yémen, tout comme les deux pays étaient impliqués dans la guerre en Syrie, chacun ayant « ses » groupes armés, qui d’ailleurs s’affrontaient régulièrement sur le terrain.

Ce conflit à la fois diplomatique et politique existant depuis longtemps avec des pics aigus et des périodes de trêve, que s’est-il donc passé pour qu’il éclate aujourd’hui avec cette violence qui ne semble pas appelée à se résorber ?

Selon la personnalité libanaise précitée, il y a eu d’abord le changement de la politique américaine dans la région et l’appui visible de la nouvelle administration à un rôle plus important de Riyad dans la région. La même personnalité révèle ainsi que, depuis l’adoption de la loi Jasta au Congrès US autorisant les proches des victimes du 11 septembre 2001 à réclamer des indemnités aux Saoudiens, ceux-ci ont multiplié leurs efforts pour améliorer l’image de leur pays auprès des Américains. L’émir Mohammad ben Salmane aurait même effectué deux visites à Washington, la première officielle au mois de mars et la seconde discrète en mai dernier. Ce serait d’ailleurs dans le cadre de cette seconde visite qu’il aurait rencontré le beau-fils et conseiller du président Trump Jared Kuschner et il aurait mis au point le fameux contrat d’armes d’un montant de 110 milliards de dollars qui a été officialisé au cours de la visite de Donald Trump à Riyad.

La personnalité libanaise proche de Riyad estime que c’est au cours de ce voyage que le cas du Qatar a été évoqué. Les deux parties en voulaient au petit émirat pour sa fameuse politique « du grand écart » et les libertés qu’il se permettait dans plusieurs dossiers régionaux, dont ceux de l’Iran et de la Syrie.

Deux développements auraient suscité une véritable colère : d’abord l’échange peu amène entre l’émir du Qatar et le président égyptien pendant le sommet arabo-islamo-américain de Riyad, et ensuite les informations faisant état d’une visite du ministre des Affaires étrangères du Qatar en Irak au cours de laquelle il aurait rencontré le général iranien Kassem Souleymani. Dans ce sillage, il faut préciser qu’un groupe de personnalités arabes qui s’est rendu récemment en Syrie et a rencontré le président syrien a rapporté que ce dernier leur a confié ne pas exclure la possibilité de renouer des relations avec le Qatar, « si l’intérêt de la Syrie l’exige ».

Autrement dit, les Saoudiens avaient de plus en plus le sentiment que le Qatar était pratiquement en train « d’abandonner le navire syrien », d’autant que les groupes armés appuyés par l’émirat étaient en train de conclure des accords avec l’armée syrienne, dans certaines zones, tout en se battant contre les groupes appuyés par l’Arabie saoudite dans d’autres.

Du côté de l’administration américaine, il semblerait, selon la personnalité précitée, qu’elle considère que l’émirat du Qatar n’a pas suffisamment contribué à payer pour sa protection, alors qu’il n’a pas les mêmes problèmes économiques que ceux de l’Arabie saoudite. (Le Qatar a investi 10 milliards de dollars en janvier dernier dans la réhabilitation de l’infrastructure américaine, mais cette somme est considérée comme dérisoire…)

Et maintenant ? La personnalité libanaise précitée est convaincue que les Saoudiens sont décidés à aller jusqu’au bout et qu’il faut donc que le Qatar cède à leurs conditions (au sujet du Hamas, des Frères musulmans, de la politique générale à l’égard de l’Iran et de la fermeture d’al-Jazeera), ou du moins à une partie d’entre elles. Mais elle exclut la possibilité d’une invasion militaire, sachant que la base américaine de Doha compte près de 10 000 soldats américains. Toutefois, les Saoudiens risquent de devenir plus exigeants, s’ils ne marquent pas des points dans d’autres dossiers. Au point de mettre les autres pays arabes au pied du mur. Le scénario du pire pour le Liban…