La deuxième année du mandat du président Michel Aoun s’annonce plus mouvementée que la première. Elle a commencé par une visite-surprise et éclair du Premier ministre Saad Hariri à Riyad pour une soudaine rencontre avec le prince héritier du royaume saoudien, l’émir Mohammad ben Salmane.
Cette visite est intervenue après une série de tweets du ministre saoudien chargé des Affaires du Golfe, Thamer el-Sabhane, appelant pratiquement à « un soulèvement gouvernemental et même populaire » libanais contre le Hezbollah. Il faut rappeler à cet égard que les tweets du ministre saoudien se sont multipliés depuis le mois de septembre, devenant de plus en plus violents contre le parti chiite.
Le dernier en date, publié le 30 octobre, exprimait l’étonnement du ministre face « au silence du gouvernement et du peuple du Liban après la reconnaissance par le parti du Diable de sa participation à la guerre contre l’Arabie saoudite ». Cette dernière phrase a d’ailleurs été interprétée comme une critique claire de sa part contre l’attitude du gouvernement et de son chef, Saad Hariri, face au Hezbollah.
À ceux qui ont cherché à minimiser la portée de ses prises de position, le ministre saoudien a déclaré à la chaîne MTV que ceux qui croient qu’il exprime sa seule opinion se trompent lourdement, car il ne fait que refléter la position des autorités saoudiennes. « L’avenir le montrera d’ailleurs », a-t-il conclu. Le lendemain, des photos où il apparaît aux côtés « de son ami » le Premier ministre Saad Hariri ont circulé sur les réseaux sociaux. Ce qui a poussé de nombreux analystes à interpréter ces signaux comme une injonction saoudienne à l’adresse du Premier ministre pour adopter une position claire, soit en démettant les deux ministres du Hezbollah de son gouvernement, soit en démissionnant lui-même de ses fonctions afin de ne pas coopérer avec la formation chiite. Déjà, le durcissement de la position des Forces libanaises à l’égard du Hezbollah, en particulier après la visite de leur chef à Riyad, avait été perçu comme un avant-goût de la volonté saoudienne et américaine d’isoler politiquement, économiquement et sur le plan populaire le Hezbollah, dans le cadre d’un vaste plan pour l’affaiblir.
Désormais, la campagne internationale et régionale contre le parti chiite ne fait donc plus aucun doute. Le président américain ne rate pas une occasion de dénoncer nommément cette formation qualifiée de terroriste, au même titre que Daech, alors que les Saoudiens multiplient les menaces à son encontre. L’élément nouveau, c’est l’appel direct au Premier ministre du Liban de réagir. Des députés du bloc parlementaire du Futur reconnaissent d’ailleurs que les pressions se font de plus en plus vives sur le Premier ministre pour le pousser à prendre des mesures concrètes contre le Hezbollah, sachant que les Saoudiens ont clairement déclaré aux personnalités libanaises qui ont visité le royaume wahhabite récemment qu’ils se considèrent désormais dans une guerre ouverte contre ce parti, instrument de l’Iran, surtout après les derniers discours de son secrétaire général, très violents contre leurs dirigeants.
Selon des sources proches du Futur, les dirigeants saoudiens auraient donc décidé de mettre un terme à la période dite de grâce accordée au chef de l’État et au gouvernement pour prendre leurs distances avec le Hezbollah et l’Iran. Dans la nouvelle confrontation qui les oppose aux dirigeants de Téhéran et au Hezbollah, ils considèrent qu’il n’y a pas de place pour les positions conciliantes et pour la politique dite de distanciation. C’est dans ce sens qu’ils essaient de resserrer les rangs de leurs alliés au Liban, en prélude à la renaissance d’un large front contre le Hezbollah. Les tentatives d’apaisement menées par le ministre des Affaires étrangères, qui a voulu mardi renvoyer dos à dos les déclarations du ministre saoudien et celles du président iranien, ne peuvent pas satisfaire les dirigeants saoudiens qui attendent des autorités libanaises des prises de position plus claires.
Dans ce contexte, le Liban est-il donc à la veille de développements politiques graves, comme la démission du gouvernement ? Des sources gouvernementales restent optimistes, précisant qu’en dépit de la tension grandissante dans la région, aucun changement gouvernemental n’est actuellement en vue. La déclaration du président de la République concernant la priorité à l’entente interne et l’unité des Libanais a été un premier indice. Elle a été relayée par le Premier ministre, qui, dans un premier commentaire après sa rencontre avec le prince héritier saoudien, a écrit sur son compte Twitter (devenu décidément un moyen de communication très prisé par la classe politique) qu’il y a une concordance des points de vue avec le royaume saoudien sur l’importance de préserver la stabilité au Liban.
Les sources gouvernementales précitées interprètent donc cette phrase, ainsi que l’affirmation du chef de l’État comme une confirmation du maintien de l’actuel gouvernement, ainsi que du fameux accord qui a abouti à l’élection présidentielle suivie de la désignation de Saad Hariri en tant que Premier ministre. Ces mêmes sources ajoutent que ce dernier n’a aucun intérêt à démissionner de la présidence du Conseil, et qu’il sait que s’il cherche à démettre les ministres du Hezbollah, cela entraînera la chute de son gouvernement. Il a donc, selon toute probabilité, expliqué sa position aux autorités saoudiennes. Le gouvernement devrait donc rester en place jusqu’aux élections législatives. Mais cela ne signifie pas que les campagnes électorales ne seront pas très violentes, chacun ayant déjà en tête la formation du prochain exécutif… lequel devrait dépendre de la nouvelle majorité parlementaire