La récente déclaration du directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, sur le fait que la menace terroriste pèse encore sur le Liban a eu l’effet d’une douche froide sur les Libanais pourtant noyés par les pluies de mars et ployant sous le poids des conflits politiques. Mais avec sa franchise habituelle, le général Ibrahim a voulu rappeler à tous ceux qui croient que le Liban est un îlot à l’abri de toutes les tempêtes qu’il faut au contraire rester vigilants, assurant que les services de sécurité font leur travail au mieux.
M. Ibrahim n’a pas donné de détails, mais selon des sources sécuritaires différentes dont les informations ont été recoupées, une double menace pèse sur le Liban : d’abord, celle des formations extrémistes Daech et ses semblables qui sont en train d’être vaincues en Irak et dans le nord de la Syrie et qui pourraient chercher à se réfugier au Liban. Ensuite, la menace israélienne qui voit d’un très mauvais œil l’importance prise par le Hezbollah depuis sa participation aux combats en Syrie et son accès à des armes nouvelles obtenues par le biais des Syriens.
Si les deux menaces peuvent paraître différentes, elles se retrouvent dans l’objectif et dans le souci de déstabiliser le Liban. Les Israéliens peuvent par exemple profiter de l’activité des cellules extrémistes au Liban, de nature à affaiblir la cohésion interne, pour porter ensuite un coup au Hezbollah, selon la logique suivante : plus la situation interne est fragile et plus il est possible d’isoler le Hezbollah et de pousser les Libanais à le rejeter. Selon les sources sécuritaires précitées, chez les Israéliens, cela commence toujours par une guerre psychologique et médiatique qui s’appuie sur des mesures concrètes, comme l’installation par l’armée israélienne d’une caméra de surveillance à la frontière en face de la localité de Meis el-Jabal ainsi que le remplacement des blocs de béton qui bloquent le passage au niveau de Bastara, dans les fermes de Chebaa, par une grille. Ce qui est destiné à donner l’impression aux Libanais que les Israéliens s’apprêtent à faire une incursion, voire une opération de grande envergure. De même, depuis deux semaines, les patrouilles israéliennes le long de la frontière libanaise sont devenues plus visibles, comme pour faire monter la tension dans ce secteur. Le Liban officiel a d’ailleurs aussitôt réagi par la voix du président de la République qui a affirmé que les armes de la résistance sont complémentaires de celles de l’armée. De la sorte, et par le biais d’une chaîne égyptienne, M. Aoun a adressé un message ferme aux Israéliens dans lequel il explique clairement que toute agression contre le Hezbollah est considérée comme une atteinte contre l’armée libanaise et contre tout le Liban. En dépit de la polémique interne suscitée par cette phrase, le message a été parfaitement reçu par ses destinataires.
C’est pourquoi les Israéliens misent désormais sur un réveil des « cellules dormantes terroristes », sur fond de polémique interne qui pourrait affaiblir l’efficacité des forces armées et des services de sécurité libanais. Mais là aussi, la réponse libanaise a été rapide en décidant rapidement un train de nominations militaires et sécuritaires pour couper court à tout malaise qui pourrait marquer les périodes transitoires au niveau des commandements et de leurs équipes respectives. D’ailleurs aussi bien le chef de l’État que le Premier ministre ont tenu à clore le dossier des nominations militaires et sécuritaires d’un seul coup, sans plus attendre la fin des mandats des personnalités concernées. De même, les passations des pouvoirs se sont déroulées très rapidement pour que les nouveaux responsables sécuritaires et militaires puissent rapidement se mettre au travail.
C’est ainsi que les perquisitions et les arrestations n’ont pas cessé dans toutes les régions du pays, pour maintenir la pression sur les terroristes potentiels et les empêcher de profiter d’une période indécise que le Liban ne peut pas se permettre. Ce n’est ainsi pas par hasard que des affrontements qui ont rapidement pris de l’ampleur ont eu lieu à Bourj el-Brajneh au moment où un nouveau commandant en chef de l’armée était nommé et alors que les tractations pour former une nouvelle force de sécurité dans le camp de Aïn el-Héloué marquent le pas. Les affrontements de Bourj el-Brajneh, dont on dit qu’ils sont dus au départ à un conflit personnel, ont failli couper la route de l’aéroport à cause des tirs des francs-tireurs, si l’armée libanaise n’avait pas réagi rapidement. Et à Aïn el-Héloué, la situation demeure précaire.
C’est dans ce contexte de changements régionaux (apparemment l’offensive contre Daech à Mossoul, mais aussi à Raqqa en Syrie, avance à grands pas) que le climat politique interne s’est brusquement envenimé. La polémique sur la participation du Hezbollah aux combats en Syrie ainsi que sur la légitimité de ses armes est revenue à l’ordre du jour, alors que les milieux politiques hostiles à cette formation l’accusent de « plomber » le mandat du président et de vouloir le conduire à l’échec. Toutefois, ce regain de tension politique n’a pas empêché le train de nominations militaires et sécuritaires. Autrement dit, en dépit des menaces qui pèsent sur le Liban, le besoin d’éviter toute déstabilisation sécuritaire continue de faire l’objet d’un consensus.