La rencontre des présidents turc Recep Tayyeb Erdogan et russe Vladimir Poutine fait couler beaucoup d’encre depuis quelques semaines. Les analyses se multiplient, malgré la rareté des informations. Plusieurs hypothèses se juxtaposent pour tenter de cerner ce qui a pu se passer précisément entre les deux hommes à Saint Pétersbourg.
Certains analystes énoncent qu’Erdogan s’est rapproché de la Russie afin de faire pression sur les Etats-Unis. Cette théorie est plausible mais pas durable. Le président turc n’a pas les moyens de maintenir longtemps la pression sur ses amis américains, afin de venger leur implication dans le coup d’Etat raté en Turquie. Le camp occidental, avec à sa tête les Etats-Unis, possède un certain nombre de cartes qui peuvent être utilisées lorsque les péripéties d’Erdogan commencent à déranger.
S’il est vrai que le président turc souhaite prouver aux Etats occidentaux qu’ils peuvent être remplacés par la Russie, il sera contraint à l’avenir de choisir son camp. A l’heure actuelle, le président Erdogan balance entre les Etats-Unis et la Russie, son repositionnement ne va pas être sans conséquences sur l’avenir politique de la Turquie. Cependant, le rapprochement entre Poutine et Erdogan a eu lieu sur fond d’intérêts communs et d’arrangements mutuels à un moment où les deux hommes ont des relations mitigées d’une part avec les Etats-Unis et d’autre part avec l’Europe. Il convient de préciser que la rencontre ne porte aucun caractère extraordinaire puisque le rendez-vous était déjà fixé, sauf que les événements l’ont précipité.
Sans aucun doute, la réconciliation entre les présidents Erdogan et Poutine bénéficie d’une façon ou d’une autre au président Bachar Al-Assad, à l’armée et au peuple syrien. Pourtant, la Syrie n’est pas la priorité du président turc. Les avancées positives que la Syrie peut obtenir dans sa guerre contre le terrorisme sont uniquement dues aux efforts des syriens, des institutions, de l’armée et du peuple, ainsi qu’à l’habilité politico-diplomatique des dirigeants syriens à obtenir la cessation de la guerre sur leur territoire.
Bon nombre de personnes se réjouissent des rumeurs médiatiques révélant que le président turc va fermer sa frontière pour empêcher le passage des terroristes vers la Syrie. Il convient de préciser que la frontière syro-turque est de 900 Km. Les kurdes contrôlent une partie du côté syrien. Quant à la Turquie, elle ne fermera pas sa frontière avec la Syrie pour empêcher le transit des mercenaires vers la Syrie avant d’avoir la garantie que les kurdes ne créeront pas un Etat indépendant et autonome à sa frontière.
Robert Fisk[1] nous explique qu’Erdogan a fait abattre un avion russe, ce qui ne l’a pas empêché de serrer la main à Poutine, et pourra faire pareil avec Assad. Si la prospection de R. Fisk se réalisait, quelle serait la posture qu’adopterait Erdogan vis-à-vis de ses alliés saoudiens, quataris et israéliens ?
Dans les faits, le président Erdogan ne peut pas se réconcilier avec Assad tant que la guerre fait encore rage en Syrie. Une réconciliation avec Assad serait un désaveu de la part d’Erdogan pour son projet ottoman qui avait comme point de départ la Syrie. Cependant le président turc n’a pas les moyens de changer seul ses positions envers la Syrie, tant que le camp auquel il appartient n’est pas encore revenu à la raison. Cette donne politique n’est pas imminente puisque les dirigeants arabes et occidentaux, ainsi que leurs presses respectives, persistent dans le mensonge à propos de ce qui se passe réellement en Syrie. Mais le président Bachar Al-Assad et le peuple syrien accepteront-ils une éventuelle réconciliation et à quelles conditions ?
Quant aux Etats-Unis, ils prennent à contrepied la visite du président Erdogan en Russie déclarant à plusieurs reprises que la rencontre (Erdogan/Poutine) n’impacte pas les intérêts des Etats-Unis puisque la Turquie et la Russie soutiennent Daech en Syrie. Les Etats-Unis continuent à biaiser afin d’éviter d’assumer leur échec en Syrie. Les américains accusent la Turquie de soutenir Daech, qui n’est pas un scoop. Mais les déclarations des Etats-Unis signifient qu’à chaque fois qu’un de leurs amis se rapprochent de la Russie ou encore de l’Iran, il va se voir accuser de soutenir Daech. Il convient de préciser que la Turquie n’a pas pu soutenir Daech sans liens avec les Etats-Unis.
Multiples sont les intérêts de la Russie nécessitant de courtiser le président turc. Le premier est de tenter un dénouement de la situation en Syrie, étant donné que le conflit syrien va commencer à coûter à la Russie bien plus que les investissements prévus. Les américains, comme les russes, ne peuvent pas se passer entièrement de la Turquie. La Russie a besoin d’Erdogan pour passer son gazoduc en Europe. Quant aux américains, ils sont capables de trouver un compromis avec le président turc concernant Fehtullah Gülen afin de ramener la Turquie sous leur coupe. Cela ne fera pas de la Turquie un carrefour stratégique entre les Etats-Unis et la Russie. Les Etats-Unis vont tenter également d’éviter que la Russie ait de l’influence au sein de l’OTAN à travers les dirigeants turcs. Actuellement ce qui prime au Moyen-Orient sont en priorité les intérêts…
Enfin, si russes, turcs, et iraniens se rencontrent[2], cela ne signifie en aucun cas la fin de la guerre en Syrie.
Antoine Charpentier
Quelques liens :
- Al-Mayadeen, Les jeux des nations, avec le journaliste Sami Klib, 08-10-2016
- Thomas GROVE, « Turkey’s Erdogan patches up relations with Putin, www.wsj.com, 09-08-2016
- Robert FISK, « Erdogan’s meeting with Putin will tell us what the future holds for Syria », www.independent.com
- Amine ABOU RACHED, « La pénitence du Sultan face au Tsar à propos de la Syrie », www. Al-Manar, 12-08-2016
[1] Robert FISK, « Erdogan’s meeting with Putin will tell us what the future holds for Syria », www.independent.com
[2] Les rencontres et les relations économiques turques et iraniennes n’ont pas cessé malgré le conflit syrien.