A la veille du scrutin du 6 mai, le premier depuis neuf ans, les listes indépendantes s’accrochent à l’espoir d’accéder au Parlement. Mais si leurs idées séduisent, elles ne représentent pas une réelle menace pour l’establishment politique.
L’effervescence bat son plein au QG de campagne de la liste indépendante Kelna Beirut à Hamra, dans l’ouest de la capitale libanaise. A la veille du scrutin législatif, l’équipe est sur le qui-vive. Pendant que des bénévoles postent les dernières vidéos des porte-à-porte de leurs huit candidats, d’autres s’affairent à rassembler les autocollants estampillés de leur logo. Ibrahim Mneimneh, en lice pour les élections, organise sa prochaine visite de terrain, les yeux rivés sur son portable.
Pendant que les quelque 1000 aspirants députés s’invectivent par médias interposés, les électeurs affichent leur soutien à leur favori sur leur tee-shirt, la plage arrière de leur voiture ou encore la devanture de leur magasin. A l’aide de haut-parleurs, des véhicules diffusent slogans et chants partisans à la gloire de leur candidat. La ferveur est palpable. Et pour cause : c’est la première fois depuis neuf ans que les Libanais sont appelés à renouveler leur Parlement.
Occuper le terrain
En 2013, 2014 et 2017, les députés sortants, majoritairement issus de la coalition du 14 mars menée par le Courant du futur du Premier ministre Saad Hariri, s’étaient maintenus au pouvoir en repoussant systématiquement la date du scrutin. «Nous avons l’opportunité de changer la donne, nous devons saisir notre chance», lance Ibrahim Mneimneh, qui espère faire entendre sa voix auprès d’un électorat excédé par le degré de corruption de ses élus. D’après un rapport de l’ONG Transparency International publié en février, la perception de la corruption au Liban est la 143e plus importante au monde, sur un classement de 180 pays.
Une nouvelle loi électorale, qui a introduit en juin le système de la proportionnelle, suscite l’espoir de la société civile. Une quinzaine de listes composées d’indépendants, sur les 77 listes en lice à travers le pays, ont déposé leur candidature. Mais face à l’effusion générale, le candidat de Kelna Beirut préfère garder son calme. En 2016, sa candidature aux municipales sous la bannière de Beyrouth Madinati avait soulevé une ferveur qui ne s’était pas traduite dans les urnes. Il espère cette année que l’abolition du scrutin majoritaire jouera en sa faveur. «Certes, il y a un changement, dit-il, mais la nouvelle loi a été conçue de manière à conserver les intérêts de l’establishment.»
Face à ce constat, la seule alternative de son équipe reste d’occuper le terrain. Tous les jours, militants et candidats partent à la rencontre des électeurs. «Vous êtes satisfait de la situation dans le pays ?», lance Ibrahim à Ahmad, un commerçant, à quelques rues de sa permanence. «Non, pas vraiment», répond le jeune homme avant d’écouter le candidat dérouler son programme. Dans un pays régi par un partage confessionnel du pouvoir, au bord de la faillite économique et où les services publics sont presque inexistants, Ibrahim Mneimneh défend la vision d’un Etat fort et l’abolition de la confessionnalisation de la vie politique qui, d’après lui, favorise le clientélisme et les divisions au sein de la société. «Il prône le changement, c’est bien», réagit Ahmad. Si les idées du candidat rencontrent un certain écho, la plupart des passants restent sceptiques. «Je suis d’accord avec lui mais je voterai pour Hariri. Il y a trop de conflits dans la région, on a besoin de notre leader pour nous protéger», commente un homme. Et bien que séduit, Ahmad n’est pas certain de voter pour Mneimneh. «Je déciderai le moment venu», glisse-t-il.
Incidents violents
«Il y a une demande populaire pour les partis de l’establishment, analyse Joseph Bahout, chercheur au Carnegie Endowment à Washington. Il ne faut pas croire que ces derniers la dominent de façon autoritaire ! Les personnes qui, entre deux élections, critiquent le système, revotent pour les mêmes candidats pour des calculs rationnels d’intérêt.» La structuration de la société en communautés religieuses promeut la figure du chef au Liban. Dans certains quartiers, la culture du bastion est si fortement ancrée que des candidats ayant formé des listes d’opposition au leader local ont été victimes d’agressions.
C’est le cas d’un colistier de la candidate Khouloud Wattar qui a accolé son affiche de campagne sur son immeuble à Tariq el-Jdide, fief beyrouthin du parti de Saad Hariri. L’aspirante députée raconte : «Il a été attaqué parce qu’il a refusé de retirer son poster. Après avoir menacé de brûler son appartement, des personnes l’ont bousculé pendant que d’autres frappaient son fils au visage. L’armée est intervenue mais l’a elle-même battu avant de l’arrêter.» Il reste difficile de quantifier le nombre de ces incidents violents mais certains y voient le signe d’un frémissement de la classe politique, menacée par la loi électorale qu’elle a elle-même adoptée. Joseph Bahout ne partage pas cet avis. «L’establishment n’a rien à craindre, estime le politologue. Le nouveau mode de scrutin donne l’illusion d’offrir des chances à de nouvelles figures d’émerger mais ce présupposé a volé en éclat du fait de la culture politique locale.»
Ibrahim Mneimneih n’a pas été agressé mais il reconnaît une tentative de soudoiement. Le candidat refuse cependant de croire à une sclérose de la vie politique libanaise. Conscient que les candidats issus de la société civile ne seront pas majoritaires dimanche au Parlement, il croit en ses chances d’effectuer une percée dans les urnes. A l’échelle nationale, ils sont une centaine d’indépendants à nourrir le même espoir.