Discours de Son Excellence le Président de la République libanaise, le Général Michel Aoun aux Libanais de l’audit juricomptable

Mes chers compatriotes

Bonsoir,

Hier la réunion attendue entre les représentants du ministère des Finances, ceux du gouverneur de la Banque centrale et ceux de la société Alvarez and Marsal s’est tenue sans parvenir à des résultats concrets. Une autre réunion a été décidée vendredi.
Pour moi, il s’agit d’un nouvel atermoiement et cela confirme le fait qu’il n’y a aucune volonté réelle de procéder à l’audit juricomptable.
Preuve en est que le Conseil des ministres a pris la décision d’effectuer cet audit le 26 mars 2020. Aujourd’hui, plus d’un an après, elle n’a toujours pas été exécutée.
D’ailleurs, la preuve supplémentaire de l’absence de volonté de procéder à cet audit est que les négociations ont été remplacées par des correspondances à distance.
En général, les négociations se font directement, face à face autour d’une table, entre les responsables eux-mêmes, non leurs représentants, comme cela s’est passé hier. Nous allons donc continuer à tourner en rond, sans délai dans le temps, ni garde fous.
Pendant ce temps, le peuple libanais attend pour connaître le sort de son argent. Il craint que le fruit de ses années de labeur n’ait été pillé, alors qu’aujourd’hui, on cherche à gagner du temps.
Avant mon retour au Liban en 2005, je voyais les risques d’un effondrement financier. Lorsque je suis devenu le chef d’un bloc parlementaire, j’ai réclamé un audit juricomptable sur les comptes de la Banque centrale et la création d’un tribunal spécial pour les crimes financiers.
Ces deux revendications sont restées dans les tiroirs.

Une fois élu à la présidence de la République j’ai essayé en vain pendant trois ans d’ouvrir la voie vers l’audit juricomptable pour protéger les fonds des déposants.
Mais la crise monétaire et financière était en train d’augmenter. Les indices de l’effondrement ont commencé à apparaître à partir de juillet 2019 et la situation tragique est apparue au grand jour le 17 octobre 2019.
Le 26 mars de l’année précédente, j’ai demandé au gouvernement présidé par Hassane Diab et au ministre des Finances de prendre les mesures nécessaires pour procéder à l’audit juricomptable sur les fonds de la Banque centrale pour pouvoir connaître les causes de l’effondrement monétaire et financier.
Les soupçons que nous avions sur l’absence de transparence dans les comptes de la Banque centrale étaient en train de se confirmer. Le volume réel des réserves en monnaies étrangères n’était pas connu avec précision et les manques étaient comblés grâce aux fonds des déposants, et cela contrairement à la loi.

Des motifs peu convaincants ont été avancés pour empêcher le Conseil des ministres de charger la société internationale Krol de procéder à l’audit juricomptable. Après beaucoup d’efforts, le Conseil des ministres a donné son accord pour charger la société Alvarez and Marsal de l’audit et il a mandaté le ministre des Finances pour signer l’accord conclu avec elle. Cette signature a eu lieu le 1er septembre 2020, c’est-à-dire il y a plus de 5 mois.
Par le biais du ministre des Finances, la société Alvarez and Marsal a envoyé 133 questions à la Banque centrale. Celle-ci a répondu à 60 d’entre elles et elle a refusé de répondre aux autres sous prétexte qu’elles sont en contradiction avec le Code de la Monnaie et du Crédit, ou alors parce qu’elle ne possède pas les réponses.

En octobre 2020, la société Alvarez and Marsal a réitéré ses questions et une nouvelle fois, elle n’a pas obtenu de réponse. L’audit juricomptable a fait face à de nombreux obstacles que nous avons essayé de lever l’un après l’autre.
On a ainsi prétexté que la loi sur le secret bancaire empêche de mener un tel audit.
J’ai alors adressé une lettre en ce sens au Parlement et la réponse a montré que les comptes de la Banque centrale peuvent faire l’objet d’un audit juricomptable.
Nous avons même été plus loin puisque le Parlement a adopté une nouvelle loi qui suspend l’application de la loi sur le secret bancaire pendant un an.
Toutes ces démarches ont été accomplies mais les entraves se sont poursuivies… jusqu’à récemment, lorsque le ministre des Finances a reconnu, il y a quelques jours, que la Banque centrale s’est abstenue de répondre à un grand nombre de questions qui lui ont été adressées par Alvarez and Marsal. Il a même ajouté que ces atermoiements ont pour but de pousser la société à renoncer à cette mission et à se retirer de l’audit juricomptable, pour que celui-ci ne soit pas réalisé et pour que les criminels restent impunis.

Mes chers compatriotes,
L’abandon de l’audit juricomptable porte un coup à l’initiative française. Car sans lui, il n’y aura pas d’aides internationales, ni de Conférence de CEDRE, ni un appui arabe et des Etats du Golfe en particulier, ni de Fonds monétaire international.

L’audit juricomptable est le chemin qui mène vers l’identification de ceux qui ont causé l’effondrement financier.
L’audit juricomptable n’est pas une demande personnelle du président de la République. Il est au cœur de l’initiative française et des exigences du FMI.
Et, avant l’étranger, c’est une demande de tous les Libanais :
Le déposant, dont les fonds dans les banques ont été pillés, qui a vu s’évaporer le fruit de son labeur.
Le malade qui attend devant les portes des hôpitaux et qui n’a pas les moyens d’y entrer pour se faire soigner car ses fonds sont confisqués par les banques.
L’étudiant qui est parti poursuivre ses études à l’étranger et qui ne peut plus recevoir les fonds envoyés par ses parents à partir du Liban.
Les parents qui ne peuvent plus assurer les dépenses de la famille en raison de l’effondrement de la livre libanaise.
Le retraité qui comptait sur ses indemnités de fin de service pour s’assurer une fin de vie digne et décente.

Moi, Michel Aoun, je dis à tous les Libanais :
Vous pouvez ne pas être d’accord avec moi en politique, mais vous me trouverez toujours à vos côtés dans les causes justes.
Je suis en première ligne, devant vous, dans la bataille pour dévoiler les dessous de la plus grosse opération de pillage de l’histoire du Liban.
Soyez avec moi,
Mettez de côté tous les conflits politiques entre vous,
Nous ne les laisserons pas voler le peuple,
Ni briser le cœur d’une mère,
Ni humilier un père,
Ni insulter un malade.
Nous ne les laisserons pas saboter l’audit juricomptable,
Ni porter le coup de grâce à l’Etat, au peuple, à l’Histoire et à l’avenir.
Aux leaders politiques et non politiques, je dis :
Votre responsabilité est grande devant Dieu, devant le peuple et devant la loi.
Ce qui s’est passé n’aurait pas pu se produire si vous n’aviez pas, au minimum, assuré une couverture à la Banque centrale, aux banques privées et au ministère des Finances.

A la Banque centrale, je dis :
La responsabilité principale de la situation repose sur vos épaules.
Vous avez violé le Code de la Monnaie et du Crédit. Vous auriez dû réglementer l’action bancaire et prendre les mesures nécessaires pour protéger les dépôts des gens dans les banques. Vous auriez aussi dû imposer des critères pour les liquidités.

Aux banques, je dis :
Votre responsabilité est claire et vous ne pouvez pas fuir cette réalité.
Les gens vous ont fait confiance en remettant leurs fonds entre vos mains. Mais vous vous êtes comportés sans le moindre sens des responsabilités, uniquement soucieux d’assurer un bénéfice rapide, sans tenir compte des risques et sans respecter les règles du métier.

Les gouvernements, les administrations, les ministères, les Conseils et les commissions sont tous responsables de chaque livre dilapidée au cours des années. Tous doivent subir un audit juricomptable.

Aux Etats qui affichent leur solidarité avec le peuple libanais et réclament la transparence au sein de la Banque centrale et du secteur bancaire, ainsi que des réformes financières et monétaires, je dis :
Aidez-nous à dévoiler les opérations de transfert de fonds réalisées après le 17 octobre 2019, qui ont pris l’aspect d’une fuite financière.
Les fonds en monnaies étrangères ont été transférés à partir du Liban vers des banques connues dans les pays du monde. Ce genre d’opérations ne peut pas être caché.
Si la décision existe, nous pouvons découvrir qui a transféré les fonds des Libanais à l’étranger.
Nous pouvons mener ces enquêtes et vérifier les transferts de fonds pour savoir ensuite s’il s’agit d’argent propre ou sale, et pour savoir aussi comment ces fonds ont été acquis par leurs propriétaires et voir s’il est possible de les reprendre.
L’audit juricomptable n’est que le début.
Cette bataille est peut-être plus difficile que celle de la libération de la terre.
C’est une bataille contre le corrompu et le voleur, qui sont peut-être plus dangereux que l’occupant ou l’agent.
Celui qui vole l’argent des gens vole la patrie.

Soyez vigilants :
Faire sauter l’audit juricomptable c’est porter un coup à la décision du gouvernement.
D’ailleurs, j’invite ce gouvernement à tenir une réunion extraordinaire pour prendre les décisions adéquates pour la protection des dépôts des gens, pour la découverte des raisons de l’effondrement et pour définir les responsabilités, en prélude à la demande de comptes et à la récupération des droits.
Je suis Michel Aoun, le président de la République,
Je suis Michel Aoun le général que vous avez connu,
Je vous lance un appel, non pour être avec moi,
Mais pour être avec vous-mêmes et avec l’avenir de vos enfants !
Découvrons ensemble les réalités pour pouvoir récupérer le droit.
Nous aurons par la suite, tout le loisir d’avoir des divergences en politique. Mais pour l’instant, nous devons faire front!
Oui à l’audit juricomptable pour que vous puissiez vivre et pour que vive le Liban.