(AFP) – Depuis des années, le bar “Abou Georges” dans le Vieux Damas sert de la bière étrangère. Aujourd’hui, ses clients peuvent déguster une blonde bien syrienne grâce à la renaissance de brasseries locales, victimes de la guerre.
Les deux brasseries de Syrie avaient fermé leurs portes au début du conflit en 2011 mais le recul des combats ces derniers mois a encouragé des entrepreneurs privés à relancer ce secteur.
Dans une allée baptisée “la rue des bars”, au coeur de la capitale, des filles habillées en blanc distribuent gratuitement aux passants et dans les pubs la bière “Afamia”, l’une des deux nouvelles marques syriennes.
“C’est une belle initiative. La bière sera bien reçue, les gens veulent une bière nationale”, dit à l’AFP Ghassan, co-propriétaire d'”Abou Georges”, bistrot aux murs décorés de photos de célébrités comme Che Guevara ou Marilyn Monroe.
Cet homme à la barbe légère se déplace avec agilité parmi les tables pour servir des cacahuètes, qui accompagnent traditionnellement la dégustation de bière, tandis que le tintement des verres se mêlent à une musique assourdissante.
“Je suis là depuis 20 ans, au temps où la bière nationale était très demandée”, assure Ghassan, 61 ans.
Avant 2011, deux marques locales étaient sur le marché syrien: Barada, une brasserie dans la province de Damas, devenue un fief de la rébellion, et Al-Charq à Alep (nord), métropole ravagée par de féroces combats entre 2012 et 2016.
Al-Charq a fermé, tandis que Barada a été détruite. Par des “extrémistes” selon le régime, par un bombardement de l’armée d’après les rebelles.
“J’étais très triste quand la guerre a emporté les brasseries”, affirme Elias, un client de 27 ans. “Je suis heureux de déguster aujourd’hui une bière syrienne”, ajoute cet étudiant en médecine.
– ‘Privé de bière syrienne’ –
La production d’Afamia –nom arabe de la célèbre ville antique d’Apamée (centre)– avait fait ses premiers pas en 2010 près de Damas avant de devoir rapidement fermer à cause des combats.
La production a pu reprendre à la fin de l’été dernier et la bière est aujourd’hui distribuée dans plusieurs provinces syriennes, de Tartous (ouest) à Damas en passant par Homs (centre).
Dans la “rue des bars” à Damas, Sabbah Khaddour, un responsable de la société, supervise l’opération de distribution de caisses d’Afamia dans les pubs.
“J’avais peur d’être privé à jamais de la bière syrienne. J’ai très envie de goûter une bière qui porte un nom syrien”, confie l’homme de 42 ans.
Il espère qu’Afamia devienne “l’une des plus grandes brasseries de la région”. Le Liban et l’Egypte produisent également de la bière.
– Matières premières tchèques –
Dans un pays sous le coup de sanctions économiques, tout ce qui permet de faire la bière –eau d’orge, houblon, bouteilles, étiquettes et même des experts– vient de République tchèque, l’un des rares pays à ne pas avoir rompu ses relations diplomatiques avec la Syrie.
“L’ambassade tchèque a gardé ses portes ouvertes, donc le contact est plus facile entre les deux pays”, explique Bassel Abbas, directeur de la deuxième brasserie syrienne, Arados.
Dans cet établissement toujours en cours de construction à Safita, une localité de la province de Tartous qui est restée l’écart des violences, des bouteilles vertes sont stérilisées l’une après l’autre sur un convoyeur électrique.
Avant d’être empaquetées, elles sont étiquetées du nom Arados, l’antique Arwad, île située en face de la ville de Tartous.
M. Abbas, 37 ans, a vécu en République tchèque. Il a lancé sa brasserie en coopération avec des hommes d’affaires syriens dans ce pays.
“Les matières premières sont toutes tchèques et ne sont pas comprises dans les sanctions. Elles nous arrivent par le port de Lattaquié”, près de Tartous, explique M. Abbas, en uniforme bleu comme le reste des ouvriers.
D’ailleurs Arados, qui a fait ses débuts sur le marché syrien cet été, est une pilsener, semblable à de la bière tchèque.
Vu le jeune âge de leurs brasseries, les responsables n’ont pas souhaité évoquer les chiffres de vente.
Arados est vendue à 435 livres syriennes (environ 1 dollar) contre 600 livres (1,4 dollar) pour la bière étrangère.
Mais selon M. Abbas, promouvoir sa nouvelle marque n’est pas chose aisée, notamment dans un pays “où la publicité pour les boissons alcoolisées est interdite”.
“Il ne s’agit pas juste d’une question de profit”, souligne toutefois le brasseur. “La bière montre une image de la Syrie loin de l’extrémisme”.