En détention depuis trois mois au Japon, Carlos Ghosn a engagé de nouveaux avocats et va ainsi changer de stratégie de défense, alors que le fonctionnement de la justice dans le pays est pointé du doigt.
Changement de noms, changement de ton. Après trois mois de détention, Carlos Ghosn s’entoure de nouveaux avocats et bouleverse sa stratégie de défense. Parmi l’équipe de choc, le célèbre Junichiro Hironaka qui s’est exprimé en conférence de presse ce mercredi à Tokyo. Il a d’emblée demandé une libération sous caution de son client. «Les procureurs le gardent en détention parce qu’il n’avoue pas, a-t-il déclaré. Je voudrais que les gens se demandent si c’est approprié du point de vue des normes internationales.»
La ligne adoptée est claire : l’ancien magnat de l’automobile, écarté de la présidence de Nissan, Mitsubishi et Renault, va désormais mettre l’accent sur son innocence. Alors qu’il est sous le coup de trois mises en examen, pour minoration de revenus et abus de confiance aggravée, et qu’il risque jusqu’à quinze ans de prison, le franco-libanais-brésilien va souligner l’absence de dommages subis par Nissan. Il serait victime d’une intrigue du constructeur automobile japonais, ayant pour objectif de court-circuiter une éventuelle fusion avec Renault. «J’ai l’impression que c’est un problème interne à Nissan», a suggéré Junichiro Hironaka.
Surtout, l’avocat japonais entend bien en profiter pour dénoncer le fonctionnement de la justice dans son pays. «Cette affaire étant devenue internationale, je pense que c’est l’occasion d’amender le système», a-t-il précisé. Un peu plus tôt, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et l’organisation japonaise du Centre pour les droits des prisonniers avaient dénoncé les «graves défaillances» de la justice de l’archipel. Un soutien inattendu pour Carlos Ghosn.
«L’avocat des innocents»
Junichiro Hironaka, 73 ans, diplômé de l’université de Tokyo et habitué des médias, est surnommé «l’avocat des innocents» dans un pays où plus de 99% des personnes poursuivies sont condamnées. Il est parfois présenté comme le «Johnnie Cochran» du Japon, en référence à l’avocat qui avait obtenu l’acquittement d’OJ Simpson aux Etats-Unis en 1995. Il fut l’avocat d’Atsuko Muraki. Cette haute fonctionnaire du ministère de la Santé, arrêtée en 2009 et placée en garde à vue pour malversations financières, avait refusé d’avouer, passé cinq mois en prison… puis avait finalement bénéficié d’un non-lieu à son procès. Junichiro Hironaka a également contribué à l’acquittement du politicien Ichiro Ozawa, inculpé en 2011 dans le cadre d’un scandale de financement de campagne – affaire dans laquelle Motonari Otsuru, l’ex-avocat de Carlos Ghosn, était l’un des procureurs.
Néanmoins, Junichiro Hironaka ne serait pas le principal avocat de l’empereur déchu de l’automobile, il ne viendrait qu’épauler Hiroshi Kawatsu, à la tête de l’équipe. Ce dernier, très critique du système japonais et expert en réforme judiciaire, a notamment rédigé l’an passé un texte sur les problèmes posés par la loi récente sur la négociation des peines. Celle-là même que Nissan a utilisée pour dénoncer les agissements présumés de Carlos Ghosn, tout en négociant l’absence de poursuites à l’encontre du ou des lanceurs d’alerte à l’origine de l’affaire. Enfin, autre ténor, Takashi Takano, figure militante en révolte contre la procédure pénale de son pays, qui a représenté un membre de la secte Aum après l’attaque au gaz sarin à Tokyo en 1995.
«Je suis impatient de pouvoir me défendre»
Au final, l’équipe présentée comme une «dream team» par les médias japonais témoigne d’une stratégie offensive. «Je suis impatient de pouvoir me défendre, avec vigueur, et ce choix représente pour moi la première étape d’un processus visant non seulement à rétablir mon innocence, mais aussi à faire la lumière sur les circonstances qui ont conduit à mon injuste détention», avait d’ailleurs insisté Carlos Ghosn dans un message transmis la semaine dernière aux médias alors qu’il annonçait sa séparation avec Motonari Otsuru.
L’ancien procureur de 63 ans venait de remettre une lettre de démission au tribunal, sans aucune explication, suivi de son collègue Masato Oshikubo. Humble et discret, Motonari Otsuru avait été à la tête du fameux bureau d’enquêtes spéciales, celui-là même qui est à l’origine de l’arrestation de Carlos Ghosn. Mais lors d’une unique conférence de presse, il avait étonné en exprimant ses doutes sur la possibilité d’une libération sous caution de son client avant la tenue d’un procès – dont la date n’est pas encore fixée et qui devrait arriver dans six mois au moins. Soucieux de ne pas braquer le parquet et les juges, il n’appréciait pas non plus les prises de paroles de Carlos Ghosn, notamment l’interview accordée dans sa cellule aux journalistes de l’AFP et des Echos.
«On me refuse la libération sous caution. Cela n’arriverait dans aucune autre démocratie du monde, s’était alors offusqué celui qui avait sauvé le constructeur automobile japonais de la faillite il y a vingt ans. J’ai face à moi une armée chez Nissan, des centaines de personnes se consacrent à cette affaire, soixante-dix au bureau du procureur et je suis en prison depuis plus de soixante-dix jours. Je n’ai pas de téléphone, pas d’ordinateur, mais comment puis‐je me défendre ?» Il semble avoir trouvé la réponse dans cette armada d’avocats.