Au Liban, on tire en l’air pour célébrer un mariage, un examen réussi ou le discours d’un politicien. Mais cette tradition fait de plus en plus de victimes et la police hausse le ton.
Les tirs de joie sont très courants dans le petit pays méditerranéen où les armes individuelles pullulent depuis la guerre civile (1975-1990).
Le 16 mai, une balle perdue a perforé la poitrine de Hussein Azab, 15 ans, après avoir été tirée par des partisans d’un homme politique célébrant sa victoire aux élections municipales près de Beyrouth.
L’adolescent a miraculeusement survécu mais, depuis mars, au moins quatre personnes ont été tuées et huit autres blessées dans les mêmes circonstances.
“J’ai cru que j’allais mourir. J’ai senti comme du feu entrer dans ma poitrine, je tremblais comme une feuille”, se souvient Hussein qui, au moment des tirs, se rendait en famille chez son grand-père dans la banlieue sud de Beyrouth.
“Ma vie a changé. Je suis beaucoup plus nerveux, je n’arrive pas à dormir et souvent je me réveille paniqué”, confie l’adolescent, exhibant une cicatrice impressionnante sur son torse.
Hussein conserve sur son portable une photo de la balle qu’on lui a retirée. Il sursaute, terrorisé, chaque fois qu’il entend un bruit d’explosion, même si ce sont des pétards.
“Pendant qu’eux célébraient leur victoire, nous versions des larmes de sang”, affirme sa mère Wafa.
‘L’orgueil de l’homme’
Face à l’ampleur du phénomène, la police a haussé le ton en interpellant
136 personnes depuis début juin. Et elle a lancé une campagne de sensibilisation sur les réseaux sociaux et mis en place une ligne dédiée pour permettre aux citoyens de dénoncer les tireurs.
“Ce n’est pas une tradition. C’est un crime qui entraîne la mort”, affirme à l’AFP le colonel Joseph Moussallem, responsable de la communication au sein des Forces de sécurité intérieure (FSI).
Les tirs de célébration sont interdits au Liban, où une loi datant de 1959 stipule que “quiconque ouvre le feu dans des zones résidentielles ou parmi la foule” est passible d’une peine allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement et/ou d’une amende.
Mais cette amende fixée à 500 livres libanaises en 1959 ne vaut plus que 60 centimes de dollars aujourd’hui.
Pour Qassem, vendeur ambulant de Saïda, ville portuaire du sud, “les armes font l’orgueil de l’homme”.
Il se souvient encore des 75 balles tirées il y a 14 ans, à la naissance de sa première fille, Ourouba, très attendue après deux ans de mariage.
“Depuis, j’ai pris l’habitude de tirer à chaque anniversaire de ma fille”, s’enthousiasme ce trentenaire, qui reconnaît s’être blessé une fois en nettoyant son arme.
Mais cela ne l’empêche pas d’ajouter, catégorique: “Si tu te considères comme un homme, tu dois tirer en l’air pour marquer n’importe quelle occasion”.
Une arme par Libanais
Dans le but de dissuader des hommes comme Qassem, un député a soumis une proposition de loi durcissant la peine de prison jusqu’à 20 ans, avec une amende allant jusqu’à l’équivalent de 12.500 dollars.
Le texte a reçu le soutien des partis politiques mais est resté dans les tiroirs, le Parlement étant paralysé depuis deux ans en raison des profondes divergences politiques.
Après plusieurs avertissements, le secrétaire général du Hezbollah n’a eu d’autre choix que de menacer fin juin d’exclure du parti “ceux qui tirent en l’air”, sans même épargner “ceux qui ont combattu 30 ans contre Israël”.
Fadi Abi Allam, directeur d’une ONG libanaise qui sensibilise la population sur le danger des armes, appelle à durcir la législation et les sanctions.
Selon lui, il y aurait près de 4 millions d’armes légères au Liban – soit une arme par personne.
“La culture du port d’armes et leur usage arbitraire touchent tout le monde au Liban”, déplore Allam, qui dirige “Paix permanente”. “Ces tirs expriment la joie ou la tristesse mais le ciel n’a jamais englouti une balle”.