Mardi, vers six heures, alors qu’il faisait sa marche quotidienne du matin, le président Michel Aoun reçoit une information qui lui arrache un large sourire. L’opération de l’armée à Ersal s’est bien passée et les militaires chargés de la mission sont revenus à leur base sains et saufs. Le chef de l’État s’est alors tourné vers ceux qui l’accompagnaient et leur a dit : « Vous allez entendre une bonne nouvelle aujourd’hui. » Le président n’en a pas dit plus et ses interlocuteurs n’ont pas posé de questions. Presque trois heures plus tard, la nouvelle d’une opération préventive militaire à Ersal contre des terroristes présumés est annoncée par les médias, qui précisent que deux terroristes présumés, le Syrien Yasser Ghaoui et le Libanais Atef Jaroudy, ont été tués alors qu’ils avaient l’intention de se faire exploser au moment de l’entrée des soldats dans la maison où ils se cachaient. D’autres personnes ont été arrêtées à la suite d’un échange de tirs avec les militaires alors que près de six ceintures explosives ont été trouvées sur les lieux.
Selon les informations fournies par l’armée, cette opération est le résultat d’un long et minutieux travail d’investigation et d’observation et elle a été programmée alors que les terroristes présumés s’apprêtaient à frapper l’intérieur libanais. Le chef de l’État avait été informé de cette mission et de son timing la veille, lundi, par le commandant en chef de l’armée qui était venu le voir après sa rencontre au Sérail avec le Premier ministre, Saad Hariri. En réalité, le président suit de près tout ce qui a trait à l’armée et à la sécurité, cette dernière étant pour lui la priorité principale et même une « ligne rouge ».
À tous ceux qui se plaignent du fait que le mandat du président Aoun, qui a commencé il y a huit mois (sept mois pour le gouvernement), n’ait pas encore été à la hauteur des espoirs des Libanais, les proches du chef de l’État rappellent qu’au Liban, les choses bougent lentement, surtout avec une classe politique qui campe sur ses positions et ses acquis depuis plus de trente ans.
Les proches du président rappellent aussi que ce dernier avait promis aux Libanais que ses priorités étaient au nombre de trois : d’abord l’armée et les services de sécurité pour assurer une base de stabilité au pays. C’est ce qui a été fait en premier avec les nominations militaires et sécuritaires. La deuxième priorité était l’adoption d’une loi électorale qui assure une meilleure représentativité des différentes composantes sociales, confessionnelles et politiques tout en étant équitable. C’est aussi ce qui a été accompli, à la dernière minute certes, et après des négociations épuisantes et parfois violentes, mais cela a été réalisé. Pour la première fois depuis plusieurs décennies, les Libanais auront en principe des élections en mai prochain, dont les résultats ne sont pas connus à l’avance avec un léger suspense pour un maximum de dix sièges.
Avec la nouvelle loi, les cartes sont mélangées, au point d’ailleurs qu’aucune composante politique n’est en mesure à l’heure actuelle de préciser ses alliances, tant les règles du jeu électoral sont désormais différentes de ce à quoi la classe politique est habituée.
Le chef de l’État répète d’ailleurs à ses visiteurs qu’il n’est pas à la tête de la République pour un projet de pouvoir. Le pouvoir politique et militaire, il l’a déjà eu dans sa longue carrière. Il est donc essentiellement porteur du projet de l’édification d’un État pour tous les Libanais, et c’est là sa troisième priorité. À ce projet, il avait donné un grand titre, celui de la relance des institutions et de la lutte contre la corruption, qui repose sur deux points principaux. Le premier est le renforcement et l’assainissement du pouvoir judiciaire, sachant qu’une justice équitable renforce l’appartenance des Libanais à l’État, ainsi que l’égalité entre les citoyens. Ce n’est pas encore réalisé, mais une dynamique de réforme a été initiée sur l’impulsion du ministre Salim Jreissati. Elle se concrétisera par le train de nominations judiciaires qui est en préparation.
Le second consiste dans le fonctionnement des institutions et la relance de la vie économique. En accord avec le Premier ministre, le président a imposé la règle selon laquelle tous les contrats publics devront désormais être soumis à la direction des adjudications. Autrement dit, il n’y a plus de contrats de gré à gré, qui favorisent la corruption. Mais il est évident que les anciennes pratiques sont lentes et difficiles à abandonner. Il s’agit donc d’un travail de longue haleine.
Concernant la relance de la vie économique, le président n’est pas très inquiet. D’abord la stabilité sécuritaire et les développements régionaux sont aujourd’hui un atout pour le Liban, redevenu une destination pour les vacances d’été. Mais le plus important reste le lancement de l’activité pétrolière et gazière. Le chef de l’État avait promis de débloquer ce secteur, et c’est fait. En matière de gaz offshore, des licences d’exploration devraient être attribuées pour trois blocs de la zone économique exclusive (ZEE) libanaise. 56 compagnies sont en lice, trois devraient être retenues. Pourquoi trois blocs seulement ? Ce fut longtemps l’objet d’un conflit entre le CPL et le président de la Chambre. Mais l’idée du président est que s’il s’avère que les gisements sont importants, le Liban aura toujours la possibilité de créer une compagnie nationale. C’est pourquoi il était important de garder des blocs en réserve.
S’il est donc vrai qu’au quotidien, la vie des Libanais n’a pas beaucoup changé, et s’ils sont minés par les soucis du rationnement en électricité, de la pénurie d’eau, de l’accumulation des ordures et des embouteillages, les perspectives sont prometteuses. C’est en tout cas ce qu’annoncent avec conviction les proches du président