L’écrivain libano-américain a reçu hier le prix Femina du roman étranger.
Il s’est acheté une belle paire de chaussures noires luisantes et, vêtu d’un pantalon bleu, d’une chemise à motifs et d’un pull indigo, il a foulé le joli tapis de l’hôtel de Crillon, à Paris, où se réunissaient hier ces dames du prix Femina, pour glaner la première distinction littéraire française de la saison, dans la catégorie du roman étranger.
Puis Rabih Alameddine a pris son téléphone et a posté sur les réseaux sociaux une photo de lui tenant l’ouvrage lauréat, Les Vies de papier (éditions Les Escales, traduit de l’anglais par Nicolas Richard.), accompagnée d’une légende succincte mais oh combien significative : « So I won the Prix Femina! » (J’ai donc remporté le prix Femina !).
Contacté par L’Orient-Le Jour, l’écrivain libano-américain s’est estimé « honoré et flatté de recevoir un prix aussi prestigieux. Je suis quelque peu subjugué »… Et d’ajouter: « Le prix doit être partagé avec ma mère et mes sœurs qui m’ont soutenu dans tout ce que j’ai fait. Il est incroyablement gratifiant qu’un roman à propos d’une femme de 72 ans vivant à Beyrouth soit acclamé de la sorte. » Que dirait-il à son héroïne, Aaliya Saleh ? « Je ne peux rien lui dire, elle ne m’adresse plus la parole et elle s’en fiche des reconnaissances. » Alors justement, cette distinction française l’encouragerait-elle à écrire dans la langue de Molière ? « Non, l’anglais est la langue dans laquelle je rêve. »
Et, chose étrange pour un écrivain lambda – mais pas pour l’auteur de Koolaids –, Alameddine s’est par la suite emparé de son compte Twitter et a posté sporadiquement des photos d’œuvres d’art, notamment des détails d’une œuvre de Salvator Rosa, Witches at Their Incantations, puis The Headhunters Dinner de Tony Saulnier, mais aussi des photos de masques, dont un en pierre datant de 7 000 avant J.-C., sans doute le plus ancien du monde, exposé au musée de la Bible et de la Terre sainte. Quelques heures auparavant, il avait mis en ligne des photos de statues, des pyramides, un panthéon (tiens, tiens, s’y voyait-il déjà ?),
un dieu grec du sommeil (peut-être qu’il avait perdu le sien ?). Mais, trêve de divagations cybernétiques et retour au papier. À ces multiples vies de papier que l’héroïne de son roman égrène l’une après l’autre, depuis sept décennies.
Car Aaliya est un personnage : cette Beyrouthine solitaire dans une ville en pleine ébullition (et évolutions) se retrouve à 72 ans sonnés, avec des cheveux bleus, une mémoire foisonnante, une culture gargantuesque, un appartement trop grand et un lit vide (à part le kalachnikov AK-47, mais c’est un détail pour les Libanais). Une solitaire qui noie sa vie dans celles que les autres ont couchées sur papier. Elle adore lire et traduire : elle vit par procuration littéraire. Et rumine ses souvenirs mâtinés de philosophie de premier choix. Car la dame invoque un panthéon très lourd : de Spinoza à WG Sebald, de Stendhal à Cavafy…
Elle défend même ses compatriotes : « La première réaction que l’on peut avoir est de se dire que les Beyrouthins doivent être sauvagement fous pour se massacrer les uns les autres au nom de divergences aussi triviales. Ne nous jugez pas trop sévèrement. Au cœur de la plupart des antagonismes se trouvent des similarités inconciliables. Des guerres de cent ans furent livrées pour des divergences sur la question de savoir si Jésus était humain de forme divine ou divin de forme humaine. La foi est assassine. » Amen…
Rabih Alameddine est né à Amman en Jordanie de parents libanais, a grandi au Koweït et au Liban et a étudié en Angleterre et aux États-Unis. Il est journaliste, peintre et écrivain, auteur d’un recueil de nouvelles ainsi que de cinq romans : Koolaids, I the Divine, Hakawati, Unnecessary Woman et, tout récemment, The Angel of History. Il partage son temps entre San Francisco et Beyrouth.
Le prix Femina du roman français a été attribué au Français Marcus Malte, 49 ans, pour le roman Le garçon (Zulma), qui invite à traverser le début du XXe siècle aux côtés d’un garçon sans nom.
Le Femina de l’essai est revenu à Ghislaine Dunant pour Charlotte Delbo, La vie retrouvée (Grasset).