Il y a trois mois, lorsque Michel Aoun avait refusé de signer le décret de convocation des collèges électoraux, il avait essuyé un flot de critiques, l’accusant de préparer la voie à un vide parlementaire. Il ne voulait en fait que pousser les parties concernées à adopter une nouvelle loi électorale.
Ce qui est désormais chose faite, et la loi n’attend plus que sa publication dans le Journal officiel pour être exécutoire. Cette loi, de 125 articles, exige un examen approfondi. Il est sans doute trop tôt pour préciser la composition du Parlement de 2018, mais on peut d’ores et déjà faire la remarque suivante : le prétexte justifiant le report des élections pour une durée de 11 mois n’est pas convaincant. En principe, il s’agit de prendre le temps de préparer les 3,5 millions (un chiffre approximatif) de cartes électorales magnétiques. Mais, dans l’un de ses articles, la loi précise que, si ce n’est pas possible d’ici au 6 mai 2018 (date prévue pour les élections législatives), il faudra revenir aux moyens traditionnels, la carte d’identité ou le passeport. Il est donc probable que la carte électorale magnétique ne soit qu’un prétexte pour donner suffisamment de temps aux différentes parties pour bien préparer la bataille électorale.
À l’actif de cette loi, on peut toutefois relever le fait qu’elle a ébranlé l’édifice actuel, et aucun spécialiste n’ose s’aventurer à faire des pronostics précis. Certes, il ne faut pas s’attendre à une révolution, et les principales composantes de la scène politique et confessionnelle se retrouveront au Parlement de 2018. Mais ce qui va probablement changer, ce sont les volumes actuels des blocs parlementaires et l’apparition de nouveaux groupes qui ne seront pas assez puissants pour modifier les équilibres actuels, mais avec lesquels il faudra malgré tout composer.
Pour donner quelques exemples, l’ancien directeur des FSI Achraf Rifi sera probablement élu à Tripoli, mais, en raison du scrutin proportionnel qui joue en faveur du courant du Futur (lequel a néanmoins perdu une partie de son assise populaire dans la ville), il devrait se partager les 11 sièges de la circonscription avec les autres composantes, notamment l’ancien Premier ministre Nagib Mikati, le courant du Futur, l’ancien ministre Mohammad Safadi et Fayçal Karamé.
Dans la seconde circonscription de Beyrouth, où le courant du Futur est majoritaire (11 sièges), des groupes comme les Ahbache, la Jamaa islamiya (Frères musulmans version libanaise) et les groupes nationalistes de gauche ont des chances d’obtenir chacun un siège, alors qu’ils étaient balayés dans le système majoritaire en vigueur jusque-là. Si elle parvient à se coaliser et mener une campagne intéressante, la société civile a aussi des chances de rafler des sièges. De même, à Tripoli, le siège alaouite ne sera plus déterminé par le courant du Futur, puisqu’en raison du système confessionnel et du principe de la voix préférentielle, la personnalité choisie par les alaouites aura des chances d’être élue.
Les exemples sont multiples et il faudra du temps pour étudier séparément chaque circonscription. Ce qui compte, c’est que cette loi ouvre la voie aux petits groupes, qui rogneront en quelque sorte la part des grands rouleaux compresseurs. Même si le seuil de qualification (calculé en divisant le nombre des électeurs de la circonscription par le nombre de sièges) est généralement plus élevé que les 10 % généralement retenus… On peut donc dire que le chef de l’État a rempli sa promesse de faire adopter une loi qui assure une meilleure représentativité des Libanais. Mais celle-ci ne va jusqu’à changer de façon significative le paysage politique.
L’autre élément qu’il faut prendre en considération est le bouleversement des alliances. Dans certaines circonscriptions par exemple, le Hezbollah n’aura pas intérêt à s’allier au CPL car cela signifierait l’échec de son candidat. À Kesrouan-Jbeil notamment, si le Hezbollah et le CPL sont sur une même liste (huit sièges, sept maronites et un chiite), et si celle-ci obtient 60 % des suffrages exprimés et que les voix préférentielles chrétiennes vont aux candidats chrétiens, la liste aura les cinq premiers chrétiens, et le chiite sera celui de la seconde liste… Cette règle est valable pour toutes les alliances, car il y a deux niveaux dans l’élection, selon la nouvelle loi : celui des suffrages obtenus par la liste en tant que telle et celui des voix préférentielles au sein de chaque liste. La situation est donc particulièrement complexe et chaque partie devra donc choisir minutieusement ses candidats. À moins de nouer des alliances précises qui définissent à l’avance la hiérarchie et le partage au sein d’une même liste. Pour l’instant, seules les deux formations chiites Amal et le Hezbollah sont en mesure d’afficher une entente de ce genre. C’est dire qu’à ce stade, les pronostics sont encore approximatifs.
À l’actif de cette loi, il faut aussi préciser l’adoption d’un bulletin imprimé et distribué à l’intérieur du bureau de vote. Ce bulletin de grand format comprend les listes avec les noms et les photos des candidats (pour ceux qui ne savent pas lire). On en a donc fini avec les bulletins glissés furtivement devant le bureau de vote ou les listes truquées, et surtout avec le panachage. Cela peut paraître élémentaire, mais c’est un grand changement dans la tradition des élections législatives libanaises..