Dans l’attente d’une percée dans le dossier présidentiel

Tout le Liban politique attendait le premier discours « ramadanien » du chef du courant du Futur Saad Hariri. Certes, une série de discours est annoncée au cours du mois de jeûne, dans le cadre des iftars organisés par ce courant dans les régions libanaises et avec des invités différents.

Mais le premier était quand même supposé donner le ton des propos qui vont suivre et de la nouvelle attitude du courant du Futur après le camouflet reçu à travers les résultats des élections municipales et notamment la victoire éclatante du ministre démissionnaire de la Justice Achraf Rifi. Toutes les évaluations des résultats des élections municipales ont en effet donné le courant du Futur comme premier perdant, parmi les partis politiques, consacrant ainsi la série de revers qu’il a subis depuis le changement de pouvoir en Arabie saoudite.

Un diplomate arabe en poste à Beyrouth analyse ainsi les faits : les trois piliers de la force de Saad Hariri sont le pouvoir, l’argent et la popularité au sein de la rue sunnite.

Il a perdu le pouvoir avec la chute de son gouvernement et la formation du gouvernement Nagib Mikati en 2011. Mais il a réussi à en retrouver une partie avec la formation du gouvernement dit « d’intérêt général » présidé par Tammam Salam. Il n’en reste pas moins affaibli, car privé de la présidence du Conseil et en raison du fait que des ministres qu’il a lui-même choisis font désormais cavaliers seuls. Il est donc loin d’avoir la main aussi longue et puissante que lorsqu’il présidait lui-même le gouvernement.

Sur le plan financier, les problèmes du chef du courant du Futur sont connus et vont en s’aggravant. Chaque jour, une information est publiée dans les médias sur de nouveaux licenciements ou de nouvelles mesures de restrictions économiques. Pour renflouer ses caisses et remettre en selle ses projets, Saad Hariri a bien essayé de contenter les dirigeants saoudiens, s’inscrivant dans la ligne du nouvel homme fort du royaume, l’héritier en second du trône, l’émir Mohammad ben Salmane. Mais ce dernier ne semble pas prêt à modifier ses plans pour tenir compte des intérêts de Saad Hariri. Ses dernières décisions concernant le Liban montrent qu’il ne voit dans ce pays que la lutte contre le Hezbollah, allié de l’Iran et proche d’Ansarallah au Yémen, ainsi que du régime syrien. Pour ce puissant émir, ses alliés libanais, et en particulier Saad Hariri, n’ont pas réussi à affaiblir le Hezbollah, et, par conséquent, il n’est pas prêt à leur faire de cadeaux. Face à son impasse financière qui devient de plus en plus pesante, Saad Hariri aurait donc un besoin pressant de conclure un compromis politique avec le Hezbollah, qui lui permettrait de revenir à la présidence du Conseil et de se doter d’un rôle plus important, au Liban et en Arabie saoudite.

C’est dans cette optique que des sources proches de Aïn el-Tiné ont affirmé que la dernière séance de dialogue entre les représentants du Hezbollah et ceux du courant du Futur, sous la houlette du président de la Chambre, qui a eu lieu lundi, était différente des précédentes. Cette séance, qui était la 29e, a été marquée par l’attitude plus ouverte des représentants du Futur qui semblaient décidés à aborder les sujets en profondeur au lieu de se contenter des habituels appuis à la stabilité et un minimum de coopération sécuritaire. Se basant sur ce climat nouveau, les milieux proches du Hezbollah attendaient donc le premier discours de Saad Hariri à l’occasion du mois de ramadan pour voir s’il contient des indices permettant de miser sur la conclusion d’un compromis, sachant que, pour le parti chiite, la voie est claire et passe par un dialogue avec Rabieh et le général Michel Aoun en particulier.

Dans une première lecture du discours de jeudi, les sources proches du Hezbollah estiment que le contenu n’est pas vraiment nouveau. Certes, le chef du courant du Futur assure qu’il assume la responsabilité des revers essuyés par son courant, tout en continuant à se présenter comme le chef de file d’un « sunnisme modéré » dont le Liban et la région ont plus que jamais besoin. Mais ces déclarations d’intentions louables ne se sont pas traduites par une volonté réelle d’entamer un dialogue concret sur la présidence. Cela pourrait se produire à travers les prochains discours annoncés de Saad Hariri. Toutefois, les sources proches du Hezbollah ne sont pas très optimistes à ce sujet, estimant qu’en raison de sa position délicate en Arabie saoudite, le chef du courant du Futur n’a pas d’autre choix que d’adopter des positions plus radicales à l’égard de cette formation et de l’Iran, s’éloignant ainsi de la conclusion d’un compromis sur le dossier présidentiel.

Sous l’apparent conflit entre lui et son ministre démissionnaire de la Justice, auquel les médias ont voulu donner un caractère fraternel (le présentant comme une rivalité entre Saad et son frère aîné Baha’ qui a reçu il y a deux jours Achraf Rifi à Monaco), se profile la rivalité saoudienne entre les émirs Mohammad ben Nayef et Mohammad ben Salmane. Dans ce contexte complexe, et vu que souvent un conflit en cache un autre plus grave, les sources proches du Hezbollah pensent que Saad Hariri a peu de chances de pouvoir conclure un compromis avec le parti chiite en cette période de tensions régionales exacerbées. Sauf si, comme l’annoncent certains de ses proches, il pourrait choisir de surprendre tout le monde… Le numéro deux du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem, a déjà tendu la perche en parlant de « la nécessité de faire des concessions mutuelles ». Jusqu’où peuvent aller les deux parties dans une situation régionale aussi tendue ? C’est ce qui reste à déterminer.