En Tunisie, les convertis au christianisme fêtent Noël en toute discrétion

Selon le père Silvio Moreno, vicaire de la cathédrale de Tunis, une dizaine de Tunisiens se convertiraient au catholicisme chaque année (MEE/Rich Wiles)

Si le prosélytisme est interdit en Tunisie depuis l’Indépendance, chaque année, une poignée de Tunisiens se convertissent au christianisme et fêtent Noël, plus souvent en communauté qu’avec leur famille, la question restant encore taboue

Pour se rendre au concert de Noël qui a démarré les festivités du week-end dans la cathédrale de Tunis, le 23 décembre, il faut passer par une entrée secondaire, gardée par plusieurs fourgons de police. « Depuis les attentats de 2015, la sécurité a été renforcée et les gens viennent moins à l’église, cela dit nous n’avons pas peur et la cathédrale est ouverte à tous pendant les fêtes », déclare le père Silvio Moreno, vicaire de la cathédrale.

Cela fait huit ans que la cathédrale ouvre ses portes à tous les Tunisiens, musulmans ou autre, lors du concert de Noël et de la messe du 24 décembre. « Il y a le chœur de Tunis et celui de Carthage qui chantent, composés de beaucoup de Tunisiens, c’est généralement un moment de partage entre la communauté et la population », ajoute le vicaire, emmitouflé dans un burnous, une longue cape en laine, habit traditionnel tunisien.

Une conversion liée à l’histoire de la Tunisie

Parmi les spectateurs de la soirée, Fayçal, 30 ans, distribue le programme du concert à côté de la crèche de Noël installée à l’entrée de la cathédrale. Tunisien musulman originaire de Gafsa, dans le centre de la Tunisie, il a commencé à penser à se convertir il y a huit ans. « C’était un cheminement spirituel, j’ai fait beaucoup de recherches et il y a deux ans et demi, j’ai commencé à venir à l’église », raconte-t-il à MEE.
Il admet s’être fait questionner une fois par la police en sortant de l’église mais sinon, pas de problèmes majeurs. « Dans ma famille, ma mère a accepté tout de suite mon choix ; pour mon père, c’était plutôt difficile d’assumer face à l’entourage », témoigne-t-il.

Depuis, Fayçal s’est installé à Tunis pour enseigner les sciences physiques et il espère devenir prêtre. Son programme de Noël se résume surtout aux différentes messes du 24 et du 25 décembre entre la cathédrale et le monastère Bienheureux de Charles de Foucauld en banlieue nord – à défaut du sapin et du repas familial, « mais cela me convient car je me suis converti par conviction », ajoute-t-il.

Crèche de Noël installée dans l’église Saint-Augustin-et-Saint-Fidèle de la Goulette, Tunisie (MEE/Lilia Blaise)

L’Église catholique en Tunisie n’a pas de chiffres officiels sur le nombre de conversions mais le père Silvio les estime à une dizaine par an. Il y en aurait aussi du côté des Églises protestante et orthodoxe, sur un total de 15 000 à 20 000 chrétiens vivant en Tunisie. La plupart des nouveaux convertis sont des jeunes.

« Nous sommes respectueux de l’interdiction de prosélytisme donc nous ne faisons pas de publicité en dehors de l’église. Souvent, les Tunisiens qui veulent se convertir viennent nous voir après avoir déjà fait des recherches et entamé un cheminement par eux-mêmes. Ils posent souvent beaucoup de questions sur les racines chrétiennes de la Tunisie et l’histoire du christianisme dans la région », explique-t-il.

« Et puis, la nouvelle Constitution garantit la liberté du culte et de conscience, donc il y a une ouverture vis-à-vis de la religion. » Si l’article premier de la Constitution tunisienne stipule que la religion de la Tunisie est l’islam, l’article 6 assure que « L’État est gardien de la religion. Il garantit la liberté de croyance, de conscience et le libre exercice des cultes. »

Un tabou qui perdure dans la société plus que dans la famille

Même si Noël est devenu, depuis quelques années, une fête que certains Tunisiens musulmans fêtent avec leurs enfants pour le côté traditionnel et les cadeaux, comme l’illustrent les nombreuses décorations dans les grandes surfaces, le sujet de la conversion au christianisme reste très tabou. Beaucoup de convertis restent discrets, voire « cachés », de peur de perdre leur travail ou d’avoir des problèmes au sein de leur famille. En 2016, neuf convertis à Gafsa avaient été menacés par la police à cause de leur foi.

« Ce n’est pas quelque chose que l’on exhibe ou dont on parle en dehors de notre entourage proche », admet une mère de famille venue à la cathédrale avec ses deux enfants. Elle n’a pas voulu donner son identité.

« Je viens d’une famille mixte donc j’ai été élevée dans les deux religions, souvent les gens ne savent même pas qu’il y a des familles tunisiennes converties depuis plusieurs générations », ajoute-t-elle. Mariée à un Tunisien « laïque », elle a préparé le repas de Noël en cuisinant de l’épaule de mouton plutôt que la dinde, selon la vieille tradition.

Amel, 24 ans, baptisée Catrina en hommage à Sainte-Catherine de Sienne, écoute les premiers chants de Noël avec attention. Elle s’est convertie il y a trois ans, après des cours de catéchisme et des recherches personnelles. « Au début, j’ai eu des problèmes avec ma famille, mais tout doucement, ils ont compris que je n’allais pas devenir une autre personne à cause de ma religion, que je reste attachée à eux ».

Concert de Noël organisé dans la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul de Tunis (MEE/Lilia Blaise)

Les amies d’Amel, essentiellement musulmanes, ont accepté sans problème sa conversion. « On me pose beaucoup de questions, certes, mais c’est plus une curiosité liée à de l’ignorance. Et puis, être ouvert sur ces questions-là est un peu une spécificité tunisienne. L’étonnement vient plus du fait que beaucoup de gens associent l’église à l’étranger et n’envisagent pas qu’un Tunisien puisse y aller. »

Le choix de l’assumer publiquement

Ghayda Jeanne Thabet, une juriste de 24 ans, a fait quant à elle le choix d’afficher sa conversion publiquement. Entre les photos Facebook de ses préparatifs, de la couronne de l’avent au sapin de Noël, elle a décidé de ne pas cacher sa nouvelle foi.

« Malgré les insultes et plusieurs menaces reçues sur les réseaux sociaux – mes photos avec mon collier affichant le crucifix qui ont fait le tour des pages Facebook où on me traitait de mécréante et aposta –, j’ai choisi de le faire publiquement et sans le cacher car je ne fais de mal à personne, je ne touche pas la liberté d’autrui et surtout, je ne trouble pas l’ordre public », déclare-t-elle.

« Je fais comme mes compatriotes musulmans qui affichent leur religion dans l’espace public. Ce n’est pas parce qu’ils sont majoritaires que nous, minorités chrétiennes, devons vivre en cachette comme les rats dans les égouts. »

Bien qu’elle vienne d’une famille musulmane, ses parents lui ont permis de suivre des cours de catéchisme dès l’âge de 18 ans, et c’est son père qui lui a offert sa première bible. « Mes parents sont ouverts et heureux de me voir en paix dans une religion en laquelle je crois et non une religion dont j’ai hérité et que je pratique sans même avoir la foi. »

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Pour elle, Noël est un jour important qui se fête en famille et avec la communauté. « Je dîne avec mes parents et ensuite je vais au monastère de la Marsa assister à la messe ».

De la bûche à la dinde, elle a pu trouver tous les produits à Tunis pour préparer son repas, non sans subir quelques remarques désagréables. « Lorsque je fais les courses de Noël, je ne cherche pas à dire et crier devant tout le monde ‘’Je suis tunisienne catholique et je fête Noël’’, mais généralement, suite à des remarques désagréables – du genre je suis une gouerra, une étrangère, parce que je fête noël – de la part des commerçants, j’entre en dialogue et j’explique ma foi pour insister sur le fait que le christianisme n’est pas la propriété des pays occidentaux ou autres », ajoute-t-elle.

Ghayda, Fayça et Amal ont célébré Noël avec le prêtre et les sœurs du monastère de la Marsa. « C’est une façon pour nous de nous réunir comme une famille puisque nous ne pouvons pas tous fêter Noël avec notre entourage », a observé Amel Catrina.