Le premier cabinet du mandat Aoun a approfondi les divisions politiques au sein du vieux clivage 14/8 Mars, y mettant définitivement fin, selon la grille de lecture d’un ancien ministre – quand bien même certains continuent d’avoir recours à cette terminologie, quoique désuète. Le 8 et le 14 Mars ne sont plus ce qu’ils étaient. De nouvelles alliances politiques sont apparues avec la formation du cabinet Hariri et devraient se consolider lors des prochaines législatives.
Concernant la prochaine consultation électorale, elle devrait avoir lieu sur base d’une nouvelle loi plus moderne. Des efforts sont déployés pour aboutir à un consensus entre les différentes composantes politiques en ce sens, dans la mesure où une majorité s’oppose désormais à la loi dite de 1960 et où plusieurs parties rejettent la proportionnelle. Il existe d’ores et déjà un simili-accord sur un projet mixte mêlant proportionnelle et scrutin majoritaire, mais il faudra un certain temps pour y arriver progressivement, en adoptant des critères unifiés pour chaque région.
Pour le président de la Chambre, Nabih Berry, le « grand jihad » est de mettre au point une loi électorale moderne garantissant une représentation saine. D’autant que la nouvelle loi devrait conduire à une nouvelle répartition politique dans le pays et que toutes les parties seront appelées à reconnaître les résultats qu’elle donnera au terme du processus électoral. Un nouveau gouvernement sera en effet formé à l’issue du scrutin, à la lumière des résultats, suite à quoi on assistera à un retour à l’ordre et à la bonne marche du processus démocratique sain, à travers l’application de la Constitution, l’émergence d’une majorité et d’une opposition et le respect de la démocratie consensuelle.
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À l’heure où toutes les forces politiques sont en passe de s’atteler à l’étude d’une nouvelle loi moderne sur base des 17 projets soumis à la commission parlementaire de l’Administration et de la Justice, l’un des chefs de file du 14 Mars estime que ce qui se produit n’est rien moins qu’une mainmise iranienne sur le Liban et la chute du projet de l’État libanais, le pays du Cèdre se retrouvant rattaché à un axe régional, alors même qu’il était question, avec le nouveau mandat, de l’avènement d’un État fort et d’un cabinet qui contribuerait à atteindre cet objectif.
Or le Hezbollah et les formations politiques qui gravitent dans l’orbite iranienne ne se sont pas suffis de l’adhésion du président des Forces libanaises (FL), Samir Geagea, et du chef du courant du Futur, Saad Hariri, à la candidature du général Michel Aoun. Ils les ont ensuite poussés à faire des compromis : il était question d’un cabinet de 24 ministres, et la formule finale, de 30 ministres, intègre un panel de faucons de l’axe syro-iranien et de la tutelle syrienne, auxquels ont été assignés des portefeuilles délicats comme la Défense et la Justice ; sans compter les multiples concessions faites au niveau de l’attribution des portefeuilles, notamment par les FL.
S’agit-il d’un retour à l’ère de la tutelle syrienne sur le Liban ? s’interroge ce 14-Marsiste. Damas continue-t-il d’exercer son influence sur le pays du Cèdre, surtout après la chute d’Alep? Existe-t-il une entente ou une divergence d’intérêts syro-iranienne concernant le Liban ? Selon cette personnalité du 14 Mars, le Hezbollah n’a plus besoin de répéter le 7 Mai ou de faire preuve d’intimidation dans la rue à l’aide des blousons noirs tant qu’il est capable d’obtenir ce qu’il veut.
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Cette lecture est jugée pessimiste par des sources loyalistes, également d’obédience 14 Mars. Ne persister à voir que le verre à moitié vide, c’est ignorer tous les développements positifs qui ont eu lieu au cours des derniers mois, dont le document d’entente de Meerab, ainsi que l’accord entre Rabieh et la Maison du Centre. Ces accords sont toujours en vigueur et c’est Michel Aoun lui-même qui en est la garantie. Le reste n’est que détails. Parmi les éléments positifs, selon cette source du 14 Mars, il faut reconnaître que Saad Hariri a obtenu sept ministres, ce que même son père en son temps n’a jamais pu avoir. Qui plus est, les ministres du Futur sont des faucons de la formation, comme Mouïn Merhebi, Mohammad Kabbara ou Jamal Jarrah. La participation de Marwan Hamadé non plus n’est pas à négliger. À eux trois, le Futur, les FL et le Rassemblement démocratique comptent 11 ministres, et l’alliance Aoun-Courant patriotique libre-FL-Futur 20 ministres. Voilà pour la forme.
Sur le fond, poursuit la source « optimiste » du 14 Mars, le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, a annoncé à plus d’une reprise que le programme du mandat était le discours d’investiture du président de la République. « Cela nous réconforte, d’autant que ce discours pourrait servir de base à la déclaration ministérielle », ajoute-t-elle. Partant, il n’existe aucune crainte vis-à-vis de ce qui s’est produit, qui constitue une étape importante sur la voie de l’édification d’un État fort, en l’occurrence l’élection d’un président et la formation d’un cabinet légal formé de toutes les composantes, à l’exception des Kataëb.
De sources proches de Baabda, le nouveau cabinet devrait s’attaquer à l’élaboration de la loi électorale et à la lutte contre la confusion régnante, le gaspillage et la corruption, à travers la mise en œuvre des organismes de contrôle et la redynamisation de la justice. Le Hezbollah, lui, trop préoccupé par ses équipées externes, ne souhaite pas polémiquer avec les composantes internes et préfère faciliter le retour à la normale.