Scarlett HADDAD: Le dossier des militaires enlevés et les relations libano-syriennes

DÉCRYPTAGE
Scarlett HADDAD | OLJ15/12/2016

Les fêtes de fin d’année risquent d’être entachées de tristesse pour les Libanais. Et en particulier pour les familles des soldats entre les mains de l’État islamique (EI) depuis leur disparition dans la foulée de la bataille de Ersal en août 2014. Mais au moins, l’insupportable suspense qui entoure leur sort pourrait être levé rapidement. Même si, depuis des mois, les responsables officiels ne cachent pas leur pessimisme quant à la possibilité de les retrouver vivants. Ce pessimisme était essentiellement dû au silence de l’EI et de ses responsables locaux depuis que les combattants qui ont pris en otages les militaires les leur ont vendus. En général, lorsqu’une organisation, même terroriste, prend des personnes en otages, c’est qu’elle souhaite le moment venu procéder à des négociations pour les libérer ou remettre les corps moyennant une compensation matérielle, politique ou militaire. Or, en dépit des tentatives répétées de la partie libanaise, qui a pratiquement frappé à toutes les portes possibles, qu’il s’agisse de la Turquie, du Qatar ou de certaines parties syriennes, aucun canal sérieux n’a été ouvert avec l’EI. Ce qui, selon les spécialistes de ce genre d’affaire, ne peut être qu’interprété comme un signe négatif. Pourquoi en effet l’EI garderait-il des militaires libanais dans des conditions difficiles s’il ne veut pas les échanger ? C’est d’autant plus pertinent qu’avec les progrès de l’armée syrienne et de ses alliés dans cette région, l’EI et le Front al-Nosra auraient bien eu besoin d’une carte importante à négocier pour sécuriser une voie d’approvisionnement vers les camps de déplacés syriens entourant Ersal.

Depuis des mois, donc, c’était le silence presque total. En tout cas, aucune information sérieuse n’a été communiquée à la partie libanaise en charge du dossier. Le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, avait d’ailleurs franchement évoqué cette situation dans ses déclarations de presse, ne voulant pas donner de faux espoirs aux familles, mais ne pouvant pas non plus annoncer de mauvaises nouvelles tant qu’il n’avait pas de données concrètes sur le sujet.
La situation a changé depuis quelques jours avec l’annonce de la découverte de plusieurs cadavres enfouis dans une grotte du Qalamoun. L’armée syrienne a été alertée et a demandé aux autorités libanaises, via le général Ibrahim, de procéder à des vérifications des analyses ADN pour voir si elles sont conformes à celles des proches des soldats libanais enlevés. Pour l’instant, aucune indication n’a été donnée sur la date du décès des cadavres trouvés, sachant que les victimes auraient probablement été exécutées par des balles dans la tête. Un des plus dramatiques épisodes de ces dernières années pourrait donc se terminer, tout en laissant de nombreuses questions sans réponse, sur les détails de l’enlèvement des militaires et sur les conditions de leur détention et les circonstances de leur mort, s’il est prouvé que les cadavres trouvés leur appartiennent.
Mais ce drame et les détails tragiques des vérifications posent le problème des relations avec les autorités syriennes, toujours placées sous le signe de la confusion et du flou. Pendant la période de vacance présidentielle, le gouvernement de Tammam Salam refusait de dialoguer ouvertement avec le régime syrien. Mais en même temps, le général Abbas Ibrahim était officiellement chargé de procéder à une coordination minimale avec l’armée et les services syriens, au rythme de rencontres plus ou moins régulières. De même, le traité de fraternité et de coopération signé entre le Liban et la Syrie en 1991 n’a pas été abrogé, et le président du Haut Comité libano-syrien, Nasri Khoury, est toujours en fonctions. Malgré cela, on se souvient du tollé médiatique provoqué par la rencontre à New York en septembre 2014 entre le ministre libanais des Affaires étrangères et son homologue syrien. Bref, le Liban officiel disait une chose et faisait son contraire en douce.
Avec l’élection du général Aoun à la présidence de la République, la situation est devenue encore plus complexe : d’un côté, le chef de l’État reçoit un ministre syrien et le mufti de Syrie venus lui présenter leurs félicitations, et de l’autre, le Premier ministre désigné affiche clairement son hostilité au régime syrien qu’il a qualifié de terroriste. Hier, le ministre de l’Intérieur a démenti vigoureusement des rumeurs sur un contact établi entre lui et le général syrien Ali Mamlouk. En même temps, le gouvernement libanais refuse d’extrader les Syriens arrêtés qui ont purgé leurs peines. Chaque jour, les services libanais arrêtent donc des Syriens, déplacés ou non, pour des motifs divers (dont la présence irrégulière et l’absence de papiers d’identité). Et, après une période de détention, ceux-ci sont relâchés dans la nature, alors que, selon la loi, ils devraient être extradés vers leur pays…
Parmi tous les dossiers complexes que le nouveau gouvernent aura à traiter, celui des relations entre le Liban et la Syrie, à la lumière des derniers développements, ne sera certainement pas le plus facile à aborder.