Entretien exclusif avec le Président Michel AOUN: Des Libanais rassurés

En complément de notre analyse de la semaine dernière, Hubert Vandenberghe nous rapporte du Liban un entretien exclusif et de belles photos… « Il importe à présent d’organiser les prochaines élections législatives » propos recueillis par Hubert Vandenberghe.

Monsieur le Président de la République, vous avez été élu le 31 octobre notamment grâce au ralliement en votre faveur de Samir Geagea, leader de l’autre parti chrétien, celui des Forces libanaises. Ce même Samir Geagea qui fut votre adversaire politique voici un quart de siècle. Ces mêmes Forces libanaises dont la milice s’affronta à l’armée libanaise dont vous étiez le commandant en chef outre vos fonctions de Premier ministre de 1988 à 1990. Que dites-vous à toutes ces familles endeuillées par ce qui prit l’aspect d’une guerre interchrétienne? Quelle est la valeur de leur sacrifice?

Le temps a adouci la douleur de ceux qui ont perdu des parents, des amis, des personnes proches. Au fil du temps, tout le monde a manifesté une certaine compré- hension par rapport à la réconciliation, car il n’en va pas seulement de la sécurité générale du pays: cette division des chrétiens, exploitée par certains hommes politiques, finissait par mettre en danger la place des chrétiens dans la société.

Le ralliement de Samir Geagea, cette « entente au sommet », ont donc rassuré les chrétiens: leurs chefs politiques se sont réunis et se sont entendus entre eux. Selon un sondage, 86 % des chrétiens sont satisfaits.

Comment avez-vous vécu votre marche vers Baabda ces dernières semaines?

Cette marche remonte à plusieurs années en arrière, lorsque j’étais en France, bien déterminé à rentrer au Liban. Il a toujours existé une grande différence entre les aspirations de la population favorable à mon retour au Liban et les manœuvres de politiciens qui voulaient continuer leurs petites combinaisons.

Il y a même eu des interventions notamment d’émissaires du Quai d’Orsay pour me conseiller de ne pas rentrer au Liban… J’ai répondu alors à la manière du roi Henri IV: « Beyrouth vaut bien une messe »!

Comment les Libanais en général et les chrétiens en particulier ont-ils pu vivre deux ans et demi sans président de la République? Comment le corps social a-t-il supporté cette carence au sommet de l’État?

Ce fut une bataille politique. Les chrétiens, sous la tutelle syrienne, ont beaucoup perdu, surtout en ce qui concerne leur rôle traditionnel dans la direction du pays. À l’exception des étudiants qui manifestaient toujours, ils étaient presque soumis à la volonté syrienne ainsi qu’aux clans qui ne respectaient pas le Pacte national de 1943, qui stipule l’équilibre au sommet du pouvoir entre les trois grandes communautés: chiite, sunnite et chrétienne.

Bien que j’aie eu 72 % du vote chrétien, que j’aie ainsi pu constituer le premier groupe parlementaire chrétien (et le deuxième groupe dans le Parlement, toutes familles politiques confondues), j’étais toujours tenu à l’écart. Je n’ai jamais pu, en tant que parlementaire de 2005 à 2016, former une majorité à la Chambre des députés, en vertu d’une loi électorale qui appliquait le « gerrymandering ». Il s’agit d’un système de découpage des circonscriptions qui est destiné à avantager toujours la même majorité, dans un scrutin plurinominal avec des candidats dont le nombre varie de deux à dix…


Comment améliorer la démocratie libanaise?

L’actuel Parlement, élu en 2009, s’est déjà auto-prorogé à deux reprises. Assurément, face à pareille situation, les Français auraient un deuxième « 14-juillet » et se seraient emparés d’une nouvelle Bastille!

Quand j’étais député, j’ai proposé une élection présidentielle soumise au vote du peuple libanais, c’est-à-dire au suffrage universel direct. Cela n’a pas été accepté. Il importe à présent d’organiser les prochaines élections législatives en ayant modifié la loi électorale afin que la repré- sentativité des élus soit plus juste, plus équitable.

Dans votre discours d’investiture, vous avez insisté pour que le Liban se tienne à l’écart de l’embrasement régional. Faut-il garder Bachar El -Assad au pouvoir?

Dans les conditions actuelles, si Bachar El-Assad s’en allait ou était destitué, la Syrie deviendrait une deuxième Libye… Serait-ce vraiment aller dans le sens de la paix régionale et de la sécurité du monde ?

LIBAN La fierté

Le prélat qui exulte de joie à l’annonce de l’élection du général Michel Aoun au poste de président de la République est Mgr André Farah, vicaire judiciaire du Patriarcat grec-catholique. « L’alliance de l’autel melkite et du fauteuil présidentiel », mais surtout le signe de la grande joie des chrétiens du Liban qui se savent enfin représentés au sommet de l’État.

Ce n’est pas faire injure à la vérité que de dire qu’Élias Hraoui fut plus que l’homme-lige de Hafez El-Assad : son obligé, son homme de paille… Quant aux présidents Émile Lahoud et Michel Sleimane, ils étaient le reflet du consensus international de l’époque qui se satisfaisait d’un président falot…

C’est par rapport à cette période , heureusement révolue le 31 octobre 2016, que Samir Geagea a pu dire de l’élection du général Michel Aoun qu’elle avait donné « un Président 100% libanais » !

En 2008, le président Sarkozy avait téléphoné au général Aoun et lui avait demandé de se retirer en faveur de Michel Sleimane : « Vous ne serez pas roi ; vous serez faiseur de roi »… La formule est belle, mais la formule est creuse, surtout au Proche-Orient où l’on est soit un « raïs », soit rien…

Michel Aoun s’en est souvenu et a eu raison de tenir le cap en dépit des pressions.

Le ralliement de Samir Geagea a été déterminant, mais insuffisant . Celui de Saad Hariri a été motivé par l’inquié- tude des milieux économiques qui commençaient à pâtir du marasme politique, ainsi que par la nécessité, pour Saad luimême, de redorer son blason en endossant l’habit de Premier ministre au moment où le consortium d’affaires familial est entré dans une zone de turbulences…