Comment appelle-t-on un régime qui, chaque nuit, tire des personnes de leur lit ? Comment qualifier les détentions de masse sans mandat ? Comment définir les fouilles brutales de maisons en pleine nuit, dont certaines n’ont pour seul but que de faire des exercices d’entraînement ? Comment appeler de telles actions perpétrées chaque nuit par l’armée, la police des frontières et le Shin Beth, service de sécurité intérieure israélien ? Comment appeler un État au nom duquel ils agissent – une démocratie, la seule du Moyen-Orient ? Se rappelle-t-on les sombres régimes, pense-t-on aux juntes latino-américaines, est-on scandalisé par la Turquie ? Bienvenue à l’occupation israélienne de la Cisjordanie, nuit après nuit, à quelques kilomètres de chez vous !
Tous les matins, sur son compte Twitter, l’IDF (Tsahal) décrit ses méfaits de la nuit précédente, avec une bonne dose de fierté : « Au cours de la nuit, nos forces ont arrêté des hommes recherchés, soupçonnés d’activités terroristes populaires et de participation à de violentes émeutes ». Hommes recherchés, terreur populaire, émeutes – le langage est recherché mais guindé, parsemé d’acronymes puérils en hébreu, qui semblent cacher un secret. Le choix de mots est convenu, les détenus ne sont pas nommés ou ne voient leur humanité restituée d’aucune autre manière. L’armée ressemble à un chasseur nocturne qui, tous les matins, exhibe ses prises de la nuit.
La semaine dernière, en une nuit, on a compté 23 arrestations, 14 la semaine d’avant, 10 et 11 les précédentes. Pas une seule nuit sans enlèvements de la sorte. Qui sont-ils ? Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Qui s’en soucie ? Ils font partie du mouvement de « terreur populaire », tous maintenant aux mains des services de sécurité.
Parfois, on vous sert de petits délices : « Cette nuit, à Naplouse, nos forces ont bouclé un appartement et un entrepôt qui avait servi à la préparation d’engins explosifs de terreur ». Engins explosifs ? Un appartement ? Un entrepôt ? Par quelle autorité ? Naplouse est dans la zone A, censée être contrôlée par les Palestiniens, mais qui se soucie de telles bagatelles ?
À l’occasion, il y a de l’argent en cause : « Au cours des opérations de la Brigade Territoriale d’Etzion, nos forces ont saisi des milliers de shekels utilisés pour financer la terreur. On les a transférés aux forces de sécurité ». Parfois ça frise le grotesque : « Les forces de la Brigade Territoriale d’Ephraim ont également arrêté un individu soupçonné d’inconduite violente, pour avoir grimpé sur un véhicule de l’armée, il y a deux mois. Les forces de sécurité lui ont fait subir un interrogatoire ». Il a grimpé sur un véhicule ? Faut-il rire ou pleurer ?
Pour ceux qui connaissent ce genre d’opérations, celles-ci n’ont rien d’amusant. Elles sont écœurantes. Des centaines de milliers de personnes vivent constamment dans la terreur : des enfants mouillent leur lit, des parents ont peur de fermer les yeux une seconde. Les soldats font sauter les portes des maisons et envahissent. Avant de comprendre ce qui se passe, vous voyez des douzaines d’hommes armés, le visage parfois couvert, dans votre maison, dans votre chambre, dans celle de vos enfants, dans la salle de bain. Voilà comment débute le cauchemar, la fouille et les arrestations, sans aucune explication, sans décision judiciaire.
Parfois, on tire les habitants de leur maison pour les jeter à la rue, sans leur permettre de s’habiller. De temps en temps, on bat un père devant ses enfants. Les affaires personnelles sont souvent endommagées. Le tout accompagné de harcèlement et d’humiliation. Dehors, les voisins se font souvent arroser de gaz lacrymogène. Des expériences traumatiques pour tout être humain.
Il n’y a pas un Palestinien qui n’ait pas fait cette expérience. Il n’y a pas un Israélien qui puisse l’imaginer. Il m’est arrivé une fois de passer une nuit dans le camp de réfugiés de Jénine. Quand les soldats se sont approchés de la maison où je me trouvais, je suis presque mort de peur. À la fin, ils ne sont pas entrés mais je n’oublierai jamais ces moments de terreur. Ce n’est que le début du cauchemar. On saisit « l’individu recherché », on le menotte et on lui bande les yeux en vue d’une interrogation dont il est difficile de prédire la fin. Ça va durer des semaines et ça comprendra humiliation et torture, parfois sans raison. On a arrêté près d’un million de Palestiniens de cette façon au cours de l’occupation. Près d’un million !
La semaine dernière, l’agence de presse Ma’an a signalé que, selon un rapport des Nations Unies, entre le 4 et le 17 octobre il y a eu 178 raids nocturnes de ce genre, c’est-à-dire 14 par nuit. Ceci s’est passé dans une période plutôt calme, à part les attaques de loups solitaires, que nul raid ne peut empêcher. On ne va pas arrêter la nuit, une fille qui veut mourir : La terreur nocturne pourrait en conduire d’autres à une attaque désespérée.
Voilà ce qui se passe chaque nuit, pendant votre sommeil.
Et après cela, d’autres Israéliens osent déclarer – par ignorance ou arrogance – que l’occupation, c’est fini, ou au moins qu’en parler les ennuie.
Source: CAPJPO-EuroPalestine